Dans les camps de réfugiés, les régions en guerre, là où la nourriture et les soins de base manquent, l'épidémie de coronavirus menace des populations déjà extrêmement fragiles. Elle déstabilise aussi les acteurs humanitaires qui leur viennent en aide. "Le CICR sait gérer les crises. Cela fait partie de l'ADN de l'organisation", souligne Robert Mardini, le nouveau directeur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans l'émission Géopolitis. "Mais c'est une crise différente: c'est une pandémie qui a touché tous les pays, les pays en guerre, comme les pays en paix et les pays qui sont les plus grands donateurs du CICR."
Interruption des vols internationaux, retard dans les livraisons de matériel sanitaire, hausse des prix, l'organisation humanitaire a dû gérer dans l'urgence les conséquences de la crise sanitaire. Le CICR emploie près de 20'000 personnes et envoie des délégués dans une centaine de pays du monde. Selon Robert Mardini, qui a repris la direction du Comité fin mars, au moment où le virus commençait à envahir le monde, l'organisation a pu jusqu'à présent faire face: "Comme nous étions présents avant cette crise dans des pays comme le Yémen, la Syrie, la Somalie, le Sud-Soudan, on a évidemment des stocks. On a des collègues sur place. On a une capacité de réponse assez importante. Donc, il n'y a pas eu d'interruption de la réponse opérationnelle." Mais les craintes restent vives dans ces pays. En Syrie comme au Yémen, la moitié des infrastructures médicales ont été détruites ou ne sont plus opérationnelles, selon l'organisation.
Des conflits qui s'exacerbent
La situation reste très tendue dans les zones en guerre, malgré l'appel du secrétaire général de l'ONU, António Guterres, à un cessez-le-feu mondial. "Aujourd'hui, nous n'avons pu observer une réduction de l'intensité des conflits dans aucun des pays où le CICR est présent, signale Robert Mardini. Au contraire, dans beaucoup d'endroits, que ce soit le Mali, l'Afghanistan, la Syrie, le Yémen, le Sud-Soudan, la région du lac Tchad, on voit une augmentation de la conflictualité." Des tensions qui pourraient encore être exacerbées par les conséquences économiques de la pandémie qui a privé de nombreuses personnes de leurs revenus.
Aujourd'hui, nous n'avons pu observer une réduction de l'intensité des conflits dans aucun des pays où le CICR est présent. Au contraire.
La crise sanitaire n'a pas non plus amélioré les chances d'arriver à une résolution politique des conflits. Comme le souligne le directeur du CICR, "la communauté internationale est divisée à peu près sur tous les grands conflits. On le voit au Conseil de sécurité de l'ONU où des conflits comme la Syrie, le Yémen, le Myanmar, la Libye font du surplace".
Certains progrès pour les prisonniers
Mais la crise sanitaire amène aussi les États à trouver des solutions pragmatiques à des problèmes récurrents, comme la surpopulation dans les lieux de détention. Le CICR est aussi actif dans de nombreux pays auprès des prisonniers, dans des zones de conflit mais aussi dans des pays touchés par des violences sociales ou politiques, comme au Venezuela ou au Salvador. L'organisation dialogue avec les autorités de manière confidentielle pour améliorer les conditions de détention. "Dans certains pays, il y a un dialogue qui a permis aux autorités d'envisager ce qui était inenvisageable avant, relève Robert Mardini, c'est-à-dire de réduire le nombre des détenus. C'est très prometteur parce que ce dialogue permet d'ouvrir des possibilités nouvelles pour réduire la propagation du virus dans les lieux de détention."
La justice des Philippines, pays qui connaît l'un des taux d'occupation de ses prisons les plus élevés du monde, a annoncé avoir libéré près de 10'000 détenus, début mai. Des libérations sont aussi envisagées ou en cours en Turquie, en Indonésie ou encore au Mali.
Elsa Anghinolfi
Robert Mardini, un ingénieur devenu humanitaire
A 48 ans, Robert Mardini a repris la direction du Comité international de la Croix-Rouge, dont le siège est à Genève, après une longue carrière au sein de l'organisation. Ancien directeur régional pour le Proche et le Moyen-Orient, il a aussi été observateur permanent du CICR auprès des Nations unies à New York. "J'ai grandi dans un Liban en guerre, explique Robert Mardini. J'ai pu voir de mes propres yeux le travail de la Croix-Rouge libanaise, le travail du CICR aux moments vraiment les plus sombres de la guerre civile qui a déchiré le pays pendant plus de 15 ans."
Mais c'est en Suisse, où il a suivi des études d'ingénieur, qu'il a décidé de s'engager au sein du CICR. "C'est le jour où j'ai rencontré la personne qui était derrière le stand du CICR lors d'un forum pour les entreprises à l'EPFL que le déclic s'est passé. Quand j'ai appris que le CICR recrutait des ingénieurs, j'ai déposé ma candidature", raconte celui qui sera envoyé quelque temps plus tard pour ses premières missions au Rwanda et en Irak.