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"La Chine va souffrir de sa gestion de la crise du Covid-19"

Géopolitis: Covid-19, le monde d'après [Keystone - EPA/OMER MESSINGER]
Covid-19, le monde d’après / Geopolitis / 26 min. / le 24 mai 2020
La confrontation entre Pékin et Washington s'amplifie de jour en jour, alors que la pandémie de coronavirus secoue un système international déjà fragilisé. Jusqu’où cette crise fera-t-elle bouger les équilibres mondiaux ?

Cela fait déjà plusieurs semaines que la Chine clame et proclame sa victoire contre le coronavirus. Vendredi, lors de l'Assemblée nationale populaire annuelle du pouvoir communiste, le Premier ministre Li Keqiang se félicitait d'une "réussite stratégique majeure" pour avoir endigué l'épidémie sur son territoire, alors que les chiffres fournis par le régime restent contestés au niveau international.

Du côté des États-Unis, pays le plus touché au monde, le virus fait plus de 1000 morts par jour et près de 35 millions de personnes ont perdu leur emploi en l’espace de deux mois. Le "virus chinois", martèle le président Donald Trump, est responsable du cataclysme. Il accuse Pékin d'avoir tardé à réagir, de manquer de transparence et d'avoir fait pression sur l'Organisation mondiale de la santé.

"Comme beaucoup d'autres tendances mondiales, le Covid-19 a joué un rôle d'accélérateur, a intensifié des tensions qui existaient déjà auparavant", résume le politologue français Bruno Tertrais invité dans l'émission Géopolitis. Déjà engagés depuis deux ans dans un conflit commercial, la Chine et les États-Unis se sont lancés dans une véritable guerre des scénarios sur l'origine de la pandémie. Cette escalade des mots et des tensions pourrait encore se renforcer, craint Bruno Tertrais. Et ce, quel que soit le président américain: "N'imaginons pas qu'un président Biden par exemple, au mois de janvier prochain, signera une sorte de trêve avec la Chine, dit-il. L'idée selon laquelle la Chine est un adversaire et non plus un concurrent, est une idée très consensuelle aux États-Unis. C'était déjà le cas avant la crise du Covid-19, c'est encore plus le cas aujourd'hui."

Le grand basculement ?

Le 10 mars déjà, le président Xi Jinping s’était rendu à Wuhan, foyer de l’épidémie, pour proclamer la victoire de la Chine sur le virus. La propagande du régime était en marche pour montrer au monde les vertus de son système autoritaire, véhiculée par la diplomatie des masques: produire et délivrer les protections que la planète entière s'arrache.

"Je ne crois pas que nous soyons à la veille d'un basculement général de l'Occident vers l'Asie", tempère Bruno Tertrais. "Je pense que la Chine va souffrir a posteriori de sa gestion de la crise. La Chine est tout de même d'abord le pays d'origine de cette pandémie, rappelle-t-il. On verra de plus en plus qu'elle a trop tardé à donner l'alerte. On verra aussi qu'elle a procédé à une propagande diplomatique absolument éhontée avec des mensonges absolument inouïs ces derniers mois pour essayer de contrebalancer les accusations occidentales, notamment américaines." Mais le politologue n'exclut pas un scénario en faveur de Pékin : "Si c'était en Chine qu'on découvrait un vaccin contre le coronavirus. Là effectivement, l'aura de la Chine dans le monde de l'après-Covid pourrait être totalement transformée."

Taïwan, le contre-exemple

A l'instar des crises qui jalonnent l'histoire, la pandémie de coronavirus a engendré une vague de repli national, laissant au second plan les grandes organisations mondiales (ONU, OMS, ...). Dans cette affirmation des États-nations, des pays se sont davantage démarqués que d'autres. C'est le cas par exemple de la Corée du Sud et surtout de Taïwan, considérée par Pékin comme partie intégrante de la Chine : "Elle a prouvé qu'il existait une "autre Chine", transparente, démocratique, capable, si ce n’est mieux que Pékin, de gérer la crise du coronavirus", relève le correspondant de la RTS à Shanghai Michael Peuker. "Et cela contrevient au grand projet de Pékin qui comptait sur le Covid-19 pour mettre en avant son système de gouvernance autoritaire."

Les régimes autoritaires pourraient sortir renforcés de cette crise ? "Personne n’en sortira véritablement gagnant", analyse Bruno Tertrais. "Mais je crois que ce sont surtout les régimes populistes qui vont perdre, car les populistes n'aiment pas la science, ne sont pas à l'aise avec la technologie et ils ont fait preuve d'une réactivité assez faible." Et de conclure : "Je crois que la démocratie reste un meilleur système de gouvernance, y compris pour les crises sanitaires. Nous verrons comment la Chine s'en sort mais je ne serais pas surpris qu'il y ait une contestation assez vive - qui aura évidemment du mal à s'exprimer - au sein de la nation chinoise quant à la manière dont cette crise aura été gérée par les autorités de Pékin."

Mélanie Ohayon

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