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Comment des dizaines d'enfants roms ont été exploités pour des vols à la tire

Documentaire - Trafic d'enfants. [RTS - Olivier Ballande]
Trafic d'enfants - [RTS - Olivier Ballande]
Un réseau de 78 voleurs mineurs, actifs dans le métro parisien notamment durant l'Euro 2016, a été démantelé en 2017. Diffusé par Les Docs, le film "Trafic d'enfants" (à voir en cliquant sur l'image ci-dessus jusqu'au 10 février 2022) retrace l'enquête internationale qui a mené à un clan basé en Roumanie. Un trafic rare, peu observé en Suisse.

De 2014 à 2017, de jeunes voleurs sévissent dans les rames ou dans les bouches du métro de Paris. Leur technique: s'approcher d'une personne, mettre la main dans son sac et en tirer des affaires. "Tu prends ce que tu arrives à prendre", témoigne une mineure. Le plus souvent, il s'agit de porte-feuilles. Mais des smartphones peuvent aussi être dérobés. Les enfants et adolescents travaillent par groupe de 2 à 5, en détournant l'attention des victimes ou en s'informant sur la présence policière par téléphone via un langage codé.

Aidée des caméras de surveillance, la police parvient à mettre la main sur ces jeunes, qui s'avèrent être principalement des Roms âgés de 9 à 17 ans.

Les enfants pratiquent le vol à la tir en groupe dans le métro. [Quark Productions/Arte]
Les enfants pratiquent le vol à la tir en groupe dans le métro. [Quark Productions/Arte]

Ils sont généralement relâchés sans poursuites judiciaires, en raison de leur âge ou faute de pièces d'identité valables.

La Brigade de Protection des Mineurs de Paris s'empare du problème et met en place en 2016 une collaboration avec la police roumaine pour tenter de mettre un terme à ces vols en série, qui s'avèrent être "une seule et même affaire". Leur enquête est racontée dans le film "Trafic d'enfants" à voir ci-dessus.

Un clan avide de prestige

A force d'interrogatoires et d'écoutes des conversations téléphoniques, les enquêteurs découvrent que ces enfants et adolescents agissent pour le compte de leurs parents, qui eux-mêmes sont soumis aux attentes d'un clan. Ce clan est basé dans le quartier de Pacureti à Iasi, avec des ramifications dans la ville de Roman. Il regroupe une trentaine de familles, composées essentiellement de Roms, mais aussi de non-Roms. Les "bacio", sortes de patriarches qui dirigent des tribunaux tziganes, seraient les principaux bénéficiaires des sommes récoltées. "Ils ont réussi à amasser des biens en une courte période de temps. Mais les leaders n'attirent pas l'attention. Ils restent en Roumanie, ils ne volent pas, on ne peut pas les mettre en relation avec les mineurs qui commettent les infractions", explique dans le film le commissaire de Iasi Catalin Serban.

"Ce qui les anime c'est une course au prestige (...), qui va se manifester à travers la construction d'une grosse maison, l'organisation de noces prestigieuses, des profils Facebook où ils se mettent en scène avec des grosses voitures, etc.", analyse le sociologue Olivier Peyroux. Pour le spécialiste, ce trafic "n'est pas lié à un problème de pauvreté, dans le sens où 20% de la population roumaine est sous le seuil de pauvreté. Or, on n'a absolument pas 4 millions de personnes qui sont pris dans des histoires d'exploitation d'enfants".

"Il existe des mafias italiennes, russes, israéliennes, mexicaines... Et il y a des mafia roms", résume Véra Tchérémissinof, présidente de l'association lausannoise Opre Rrom, après avoir visionné le film. "Il s'agit d'une petite minorité que les autres Roms désapprouvent", martèle-t-elle.

Des vols dictés par les parents

Les enfants ont été formés au vol à la tir dans leur quartier roumain, avant d'être déscolarisés et envoyés à Paris. Ils vivent dans des squats au-delà du périphérique parisien, à St-Denis. "Ils sont très cadrés et très surveillés", précise le réalisateur Olivier Ballande. Ces enfants sont extrêmement loyaux à leurs familles et assurent ne pas être victimes d'un quelconque réseau.

Ces jeunes se révèlent être de parfaits petits ouvriers tandis que leurs parents, ou référents parentaux, occupent leur journée à absolument ne rien faire.

Mathieu Coletta - directeur de l'enquête

"Les gosses reviennent avec un butin qui est estimé entre 200 et 800 euros par jour", déclare le directeur de l'enquête Mathieu Coletta. Mais les sommes demandées par les parents peuvent atteindre 2000 euros par jour. L'argent et la marchandise sont envoyés en Roumanie, soit par Western Union, soit par des intermédiaires, soit par les mineurs eu

Les enfants et les adolescents vivent à St-Denis avec des proches. [Quark Productions/Arte]
Les enfants et les adolescents vivent à St-Denis avec des proches. [Quark Productions/Arte]

x-mêmes qui retournent chez eux plusieurs fois par année. "Parfois il leur est alloué de quoi déjeuner (...), s'acheter des vêtements et des choses de confort", précise la commissaire Loubna Atta.

Les parents eux, généralement, ne travaillent pas. La plupart des mères vivent avec leurs enfants à Paris. Certaines restent en Roumanie et contrôlent leurs enfants à distance. Le film démontre que les parents exercent une forte pression sur leurs enfants pour les pousser au vol. Si ceux-ci se font arrêter par la police, ils les insultent.

Bouge-toi ou tu vas voir ce que je vais te faire. Je te fous la honte à ton retour.

Un parent à son enfant

"Il y a une ambivalence: ce sont des auteurs d'infractions dans le cadre de procédures de vols. Et ce sont des victimes dans le cadre de notre procédure dans l'organisation criminelle et traite des êtres humains", relève le premier juge d'instruction Baudoin Thouvenot. Histoire de compliquer l'affaire, avec les années, les mineurs cessent de voler (le risque d'emprisonnement augmentant avec l'âge). Mais ils encadrent les voleurs, c'est-à-dire qu'ils deviennent à leur tour trafiquants...

Arrestations simultanées dans les deux pays

Après plusieurs mois d'enquête, les autorités françaises recensent 78 suspects et près de 500 personnes sous surveillance. Certains enfants de moins de 15 ans finissent par être placés en prison, après avoir été arrêtés plus de 30 fois.

Les policiers parisiens ont placé 500 personnes sous surveillance pour démanteler le réseau. [Quark Productions/Arte]
Les policiers parisiens ont placé 500 personnes sous surveillance pour démanteler le réseau. [Quark Productions/Arte]

"Même si ce n'est pas conforme aux engagements de la France (...), on est bien obligé de faire avec ce qu'on a pour essayer de trouver une solution pour ces mineurs", confie une magistrate.

Le 19 juin 2017, une opération est menée conjointement dans les deux pays. A Paris, 19 adultes sont arrêtés et 43 mineurs interrogés. Dans les villes roumaines de Iasi et de Roman, une grosse opération franco-roumaine est menée: 120 personnes, dont 50 mineurs, sont interrogées, selon les chiffres fournis par le Balkan Insight.

La justice à l'épreuve de la loi du silence

Le montant total du préjudice est estimé à plus de 3 millions d'euros. Mais qui en sont les bénéficiaires finaux ? Les adultes interpellés ne vont pas lâcher le morceau facilement. "Ce sont des femmes extrêmement renfermées. Elles contestent parfois l'identité même du père de l'enfant", déclare Jean-Michel Gentil, juge d'instruction de l'unité de coopération Eurojust. Les suspects expliquent avoir peur pour leur intégrité corporelle.

Ils ne se dénoncent pas. Ils préfèrent ne pas témoigner et aller en prison. C'est la loi du silence.

Vasile Airinei - procureur roumain

Les enquêteurs soupçonnent deux Roms très influents, dont l'un est surnommé "Le Diable", d'être à la manoeuvre. Mais les preuves sont difficiles à récolter.

De leur côté, les enfants sont placés. En Roumanie, sept d'entre eux partent sous les services de protection de l'enfance. En France, ils intégrent des centres d'accueil... mais fuguent tous le jour même, avant d'être récupérés par des membres de leur famille et exploités... en Espagne.

En automne dernier, les adultes arrêtés en France ont été condamnés à des peines allant de 4 à 8 ans de prison. Quant au clan, il "s'est en partie reconstitué et plusieurs mineurs sont revenus" début 2019, selon le parquet cité par Le Figaro. Un nouveau film est en cours de production pour raconter la suite de cette enquête désormais franco-roumaine-espagnole.

Les Docs - Caroline Briner

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Pas de réseau de cette ampleur en Suisse

En Suisse, aucun trafic de voleurs mineurs de cette ampleur n'a été constaté ces dernières années. Et actuellement, les cas de vols par des mineurs roms sont très rares. Ils ont pu être observés dans les cantons de Genève, Vaud et Berne principalement.

Il y a 5-6 ans, des dizaines d'arrestations de mineurs issus de la communauté du voyage ont eu lieu dans le canton de Genève pour des vols. Toutefois il s'agissait de cambriolages, effectués dans des villas, selon Olivier Boillat, président du tribunal des mineurs de Genève.

Les mineurs "procédaient de façon très professionnelle et très systématique", précise Olivier Boillat. Ce qui laisse supposer qu'ils travaillaient pour un réseau. Lors des interrogatoires, ils faisaient preuve "d'une loyauté très forte envers leur communauté", souligne Olivier Boillat. Ceux qui ont été confiés à des services sociaux fuguaient aussitôt.

"On a appris que ces enfants partaient sur Paris la plupart du temps. Mais était-ce lié à l'affaire du métro parisien ?", s'interroge Olivier Boillat, qui confie qu'aucune collaboration n'a été lancée avec d'autres pays.

En Ville de Berne, la police des étrangers a interpellé pendant plusieurs années des Roms pour des vols à la tir en duo. Ils étaient âgés de 13 à 18 ans et provenaient d'un camp basé à Mulhouse. Leur niveau de loyauté envers le clan était aussi très élevé.

Pour lutter contre cette traite, un processus de coopération (AGORA) a été mis en place en 2009 avec Fedpol, l'Union des villes suisses et les autorités roumaines notamment. Depuis trois ans, le nombre de mineurs roumains interpellés est passé de 4 par jour à 0 par an, précise l'inspecteur Alexander Ott.

Les cas de mendicité par des mineurs pour les besoins familiaux sont aussi devenus très rares.