C'est à 22h33 (heure suisse) qu'une fusée Falcon 9, de la société privée SpaceX, doit décoller de Cap Canaveral en Floride.
Dans la capsule Crew Dragon, deux astronautes américains, Bob Behnken, 49 ans, et Doug Hurley, 53 ans. Ils vont prendre la direction de la Station spatiale internationale (ISS), où deux Russes et un Américain les attendent.
Pour l'instant, les prévisions météo sont plutôt défavorables, avec un risque de 60% de mauvais temps. Les fenêtres de lancement suivantes seraient samedi et dimanche. Le grand public pourra suivre la retransmission sur internet, via un direct de la NASA ou sur le site de SpaceX.
Etats-Unis, superpuissance de l'espace
Ce vol est historique pour les Américains qui, depuis près d'une décennie, ont délaissé leurs navettes spatiales en raison de leur coût exorbitant et de plusieurs explosions en vol.
"Les Etats-Unis sont une hyperpuissance dans l'espace", explique à la RTS Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS, géographe spécialiste des politiques spatiales. "Le vol habité est le symbole de leur souveraineté, une fierté nationale. Ne pas être capable d'aller par soi-même à la station dont on est le leader, c'était inconcevable. "
Ainsi, le président Donald Trump lui-même assistera au lancement, maintenu malgré la crise du coronavirus. "C’est un pas de géant vers un avenir exaltant et pour que l’Amérique renoue avec son destin unique dans l’espace", a-t-il déclaré.
Car, si le programme a été lancé sous son prédécesseur Barack Obama, Donald Trump a fait de la reconquête de l’espace une de ses priorités, promettant même de renvoyer des hommes sur la Lune en 2024. À cinq mois de la présidentielle, un vol réussi pourrait profiter à la campagne du président.
Russie, la fin d'un monopole
La dernière navette spatiale américaine, Atlantis, a atterri le 21 juillet 2011. Avant elle, ces immenses appareils ailés ont assuré le transport de dizaines d'astronautes pendant trente ans. En attendant leur remplacement, les astronautes de la NASA ont appris le russe et voyagé dans les Soyouz russes, depuis le Kazakhstan, pour un prix de 80 millions l'aller-retour.
La fin de la dépendance américaine pour ses vols habités est un coup dur pour Moscou, qui perd des clients précieux: "On peut évaluer la perte économique à 400 millions de dollars par année, c'est près d’un demi-milliard!" explique Ivan Moïseev, expert à l'institut de politique spatiale en Russie.
"Et si le lancement américain se passe bien, cela voudra dire que la petite compagnie américaine SpaceX, 6000 employés en tout, est comparable en terme de puissance avec les 240'000 personnes qui forment l’industrie spatiale en Russie."
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Mais c'est surtout une partie de son influence que la Russie voit s'amenuiser: "Elle n'a plus le choix d'être une puissance spatiale démesurée, mais elle ne peut pas renoncer à ce symbole de sa grandeur de l'Union soviétique", rappelle la chercheuse Isabelle Sourbès-Verger.
"Moscou gardera ses capacités et son autonomie à aller dans l'espace, mais elle doit trouver un projet qui justifie les investissements pour de nouvelles capsules qu'elle développe en parallèle."
Chine, se faire une place dans la course
La Chine s'est lancée il y a 15 ans dans l'aventure et est depuis devenue la troisième puissance spatiale. Le pays espère prendre la pôle-position ces prochaines années.
Cette conquête s’inscrit dans le "grand rêve chinois" de Xi Jinping. En 2003, Pékin envoyait son premier taïkonaute en orbite. En 2008, les étoiles rouges du drapeau communiste flottaient pour la première fois dans l’espace, brandies lors d’une première sortie spatiale. Depuis, outre l’envoi massif de satellites en orbite, la Chine a entrepris une exploration lunaire à l’aide de sondes, dont l’une s’est posée en 2019 sur la face cachée du satellite terrestre, une première mondiale.
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Des vols habités vers la Lune sont prévus la prochaine décennie avec, à terme, un projet de base lunaire à l’horizon 2040, première étape vers la conquête de mars.
Ce programme spatial ambitieux suscite aussi beaucoup de méfiance. Toute collaboration entre la NASA et les agences chinoises est interdite, par peur d’un transfert de technologie, mais aussi en raison de soupçons liés à une possible militarisation de l’espace par la Chine, ce que réfute Pékin.
Pour Isabelle Sourbès-Verger, la Chine cherche à démontrer qu'elle est capable de faire la même chose que les Etats-Unis et la Russie. "C'est du rattrapage de compétences. Elle veut montrer qu'elle est présente, qu'elle sera l'une des grandes puissances du XXIe siècle, et l'espace sert de signal."
Vers de nouvelles tensions dans l'espace?
Jusqu'ici, la coopération spatiale avait survécu aux tensions américano-russes malgré les sanctions. Avec la fin de la dépendance américaine aux capsules Soyouz, les hostilités pourraient-elles gagner le domaine spatial?
Isabelle Sourbès-Verger ne le pense pas: "On est très interdépendants dans l'espace. En raison des fortes contraintes, on ne peut pas s'y comporter comme sur Terre. La coopération est essentielle dans l'espace, même s'il reste un objet de fierté nationale."
Mouna Hussain avec afp
Privatisation du secteur spatial
Pour la première fois, c’est une compagnie privée, celle d’Elon Musk, le patron de Tesla, qui va emmener des hommes jusqu’à la Station spatiale internationale, espérant ouvrir une nouvelle ère du transport et du tourisme de l’espace.
"Nous imaginons un avenir où une dizaine de stations spatiales sont en orbite terrestre basse, toutes opérées par le secteur privé", estime Jim Bridenstine, patron de la NASA.
Elon Musk voit plus loin: il construit une énorme fusée, Starship, pour aller autour de la Lune, voire sur Mars, et faire de l'humanité une "espèce multiplanétaire".
"Transférer cette compétence à une entreprise privée est un choix des Etats-Unis, explique Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS. C'est l'idée que la conquête de l'espace est maintenant passée d'un secteur étatique à un secteur privé."
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