Considérée par certains comme un modèle alternatif misant sur l’immunité de groupe plutôt que le confinement strict, la Suède a défendu une approche souple, en décalage avec les mesures très strictes adoptées dans le monde et dans l’Union européenne.
Ainsi, alors que près de la moitié de l’humanité était confinée, les écoles, les salons de coiffure, les salles de sport et les restaurants suédois sont restés ouverts.
Mais aujourd'hui, avec une mortalité bien plus élevée que ses voisins scandinaves et un bilan qui approche les 4200 morts pour 10,3 millions d'habitants, soit plus de 400 morts par million d'habitants, le pays s'interroge.
Si la Suède compte moins de mort par habitant que le Royaume-Uni ou la France, le taux est bien supérieur à celui de ses voisins nordiques comme la Norvège (43 morts par million d'habitants), le Danemark (97) et la Finlande (56), qui ont adopté des mesures beaucoup plus drastiques.
Culture protestante et luthérienne
Les autorités ont longtemps misé sur le civisme et l’autodiscipline de la population. La seule mesure restrictive adoptée est l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes et des visites dans les maisons de retraites, très durement affectées par l’épidémie.
Cette approche peut notamment s'expliquer par la culture suédoise, estime Jean-Pierre Pouron, sociologue basé à Stockholm. "La Constitution ne permet pas de priver les citoyens de liberté. Le strict respect des libertés fondamentales est dans l’ADN des Suédois, des protestants luthériens qui cultivent un attachement viscéral aux valeurs du labeur, avec une économie orientée vers l’exportation", explique-t-il. "La volonté était de limiter la casse sur le plan de l’emploi."
Une approche qui "s'inscrit dans la durée"
L'agence de santé suédoise ainsi que le Premier ministre Stefan Löfven reconnaissent désormais des "erreurs" dans la gestion de l’épidémie, notamment la problématique hautement émotionnelle des maisons de retraite où résidaient au moins un tiers des victimes du Covid-19.
Beaucoup de malades âgés n'ont pas été envoyés à l'hôpital, alors même que des lits étaient disponibles. Accusé d’avoir "sacrifié ses aînés", le gouvernement suédois défend cependant une approche qui s’inscrit dans la durée, convaincu qu’à terme, les faits lui donneront raison.
"Notre stratégie est de prendre des mesures à long terme. L’épreuve que traverse notre pays s’apparente à un marathon", se défend le Premier ministre social-démocrate qui, malgré l'augmentation du nombre de victimes, connaît une popularité en hausse.
Échec de l’immunité collective
L'agence de santé admet quant à elle son échec concernant les EMS, mais estime qu'un confinement strict n'aurait pas évité ces décès.
Cependant, des voix critiques, jusqu’à présent ultra-minoritaires, s’élèvent désormais en Suède pour dénoncer cette politique. Car cette stratégie n’a pas épargné l’économie, avec un PIB en chute libre et une forte augmentation des demandeurs d’emploi.
Et le taux d’immunité à Stockholm est presque quatre fois moins élevé qu’espéré: moins de 7% de contamination alors que les autorités sanitaires en espéraient 30 à 40%.
Un collectif de médecins suédois a ainsi récemment publié un manifeste au vitriol dans les grands journaux du pays pour dénoncer un "désastre politique et sanitaire".
Le gouvernement persiste et signe
Le gouvernement suédois croit toutefois dur comme fer en sa politique sur le long terme. Avec, en première ligne, l’épidémiologiste Anders Tegnell. Encore inconnu il y a trois mois, le tout puissant patron de l’Agence suédoise de santé publique est devenu une véritable star dans le pays.
Celui qui a inspiré la stratégie de non confinement compte ses fans par milliers. Il estime que le fait de ne pas avoir imposé des mesures de confinement strictes évitera de faire face à une deuxième vague, l’automne prochain, considérant qu’une grande partie de la population aura alors été immunisée.
Tristan Dessert/Olivier Kohler/jop