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Avec la crise, l'Arabie saoudite est confrontée à un regain d’autoritarisme

A l’épreuve de la pandémie, l’Arabie saoudite confrontée à une crise économique et à un regain d’autoritarisme. [AFP]
A l’épreuve de la pandémie, l’Arabie saoudite confrontée à une crise économique et à un regain d’autoritarisme. - [AFP]
Frappé par la crise pétrolière et le Covid-19, affaiblie sur le plan diplomatique, l'Arabie saoudite doit tailler dans ses dépenses publiques. Le prince Mohammed ben Salmane devra revoir à la baisse ses projets pharaoniques et s’expose à des risques de contestation sociale.

"Le Royaume n’a pas connu une telle crise - que ce soit sur le plan sanitaire ou sur le plan financier - depuis des décennies": Mohammed al-Jadaan, ministre saoudien des Finances, l’a reconnu sans détour sur le plateau de la chaîne Al Arabya.

Si le Royaume a bien négocié le virage de la pandémie avec un nombre de victimes relativement faible - officiellement 503 victimes - Riyad subit de plein fouet la crise mondiale. Le choc est d’autant plus grand pour MBS, surnom donné à l'impulsif et impétueux prince Mohammed Ben Salman, que la crise pétrolière, exacerbée par la crise du Covid-19, fragilise ses ambitions réformatrices et sa volonté de moderniser le Royaume.

Vers une vague de mécontentement social

"Il va y avoir des conséquences économiques énormes. Beaucoup de jeunes au chômage. On leur a promis des libertés et des divertissements, encore faut-il avoir les moyens de faire la fête. On risque d’assister à une profonde vague de mécontentement social", prévient Georges Malbrunot, spécialiste du monde arabe et grand reporter au Figaro.

Pour faire face à l’effondrement des cours de l’or noir, le Royaume a dû prendre des mesures budgétaires drastiques et instaurer une cure d'austérité sévère: diminution de 40% des revenus dans le secteur privé, TVA triplée passant de 5 à 15%, baisse des allocations et des privilèges accordées aux fonctionnaires, qui à eux seuls constituent 70% des emplois dans le pays.

Sommet du G20 incertain

Les pétromonarchies du Golfe, qui tirent l’essentiel de leurs revenus des hydrocarbures, subissent leur pire recul depuis les années 1980. C’est particulièrement flagrant en Arabie saoudite. Le gouvernement s’est résolu à puiser dans ses réserves et peut voir venir avec un fonds souverain estimé à 2000 milliards de dollars. Mais cette crise structurelle tombe au pire moment. Depuis l'assassinat en 2018 dans des circonstances atroces de Jamal Kashoggi, journaliste et opposant saoudien exécuté après avoir été attiré dans un guet-apens dans l’ambassade saoudienne d’Istanbul, Riyad s’est attiré les critiques pour son implication dans la guerre au Yémen et voit ses relations avec Washington assombries par la crise pétrolière.

"En jouant avec la guerre des prix, Riyad a fragilisé la position de Washington, ce qui a provoqué la colère de Donald Trump. Si l’Arabie saoudite a bien géré la crise du Covid sur le plan sanitaire, elle a affaibli son partenariat stratégique avec les Etats-Unis, son protecteur et son parapluie militaire", analyse Georges Malbrunot. MBS espérait redorer son blason en accueillant le prochain sommet du G20 à Riyad le 21 et 22 novembre prochain, mais la pandémie et ses incertitudes sanitaires pourraient remettre en cause la tenue du grand rendez-vous planétaire.

>> Lire à ce sujet : "L'Arabie saoudite va instrumentaliser le G20 à des fins politiques"

Opposants en danger

Comme lors de la dernière crise financière de 2008, Riyad a réagi en lançant une offensive sur le plan économique, multipliant l’acquisition de groupes étrangers fragilisés par la pandémie. Près de 8 milliards de dollars ont été investis dans le groupe pharmaceutique américain Pfizer, lancé dans la course au vaccin, BP ou encore Walt Disney. Ces acquisitions révèlent la volonté de diversifier à tout prix l’économie du pays, qui voit ces grands chantiers pharaoniques comme la cité futuriste Neom remis en cause.

"Cette crise met à mal l’opération séduction du régime. Elle révèle un regain d'autoritarisme politique très fort sur le plan intérieur. Des femmes ont été arrêtées. Un opposant a trouvé la mort en prison". Réfugiés dans plusieurs pays européens, d’autres opposants sont en danger. En Norvège, l’un d’eux, en pleine crise du Covid-19, a été mis sous protection dans un lieu sécurisé et tenu secret.

Princesse disparue

Depuis six semaines, l’inquiétude grandit aussi autour du sort de la princesse Basma, 52 ans, connue pour ses positions très libérales. Figure progressiste de la famille royale d'Arabie saoudite, la nièce du roi Salman paie peut-être cher ses opinions.

"Je ne trahirai jamais la famille royale. Mais je ne resterai jamais silencieuse sur ce qui affecte notre peuple.Je n'accepterai pas une distribution des richesses qui ne profite qu'à ceux qui ont récupéré malhonnêtement le pouvoir". Après un appel à l'aide diffusé via son compte Twitter, la princesse, incarcérée malgré un état de santé fragile, a disparu des écrans radars. Le quotidien britannique The Guardian rapporte que Basma a été arrêtée avec sa fille alors qu'elles tentaient de fuir l'Arabie saoudite pour se rendre en Suisse en mars 2019.

>> Ecouter aussi le sujet consacré à l'Arabie saoudite par l'émission Tout un monde le 1er mai dernier :

Le prince Mohammed Ben Salmane. [Keystone - Cliff Owen - AP Photo]Keystone - Cliff Owen - AP Photo
La pandémie complique les grands projets d’ouverture de l’Arabie saoudite / Tout un monde / 7 min. / le 1 mai 2020

Olivier Kohler

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