En 1969, l'homosexualité est diagnostiquée comme "un trouble mental" aux Etats-Unis. Les actes homosexuels sont considérés comme des crimes, tandis que les administrations tentent de faire disparaître l'homosexualité. Les espaces publics sont contrôlés. Les suspects espionnés et piégés. Toute inattention peut déboucher sur la perte de son emploi ou sur un renvoi de l'Université. Les gays et les lesbiennes vivent dans une angoisse permanente.
"Donc je n'ai jamais dit que j'étais lesbienne. Je ne sortais jamais sans maquillage. Je me suis laissée pousser les cheveux. J'essayais de paraître aussi féminine que possible", confie Karla Jay à propos de ses années universitaires. Même les parents ne sont pas informés. "C'était très dangereux de faire son coming out. J'entendais beaucoup d'histoires de gens qui envoyaient leur enfant en hôpital psychiatrique", témoigne Philip Bockman dans le documentaire "Stonewall - aux origines de la Gay Pride", à voir ci-dessus et sur RTS2 dimanche à 20h55 et lundi à 23h20.
Les années 1960 avaient pourtant vu apparaître de nombreux mouvements de rébellions: droits civiques, droits des femmes, droits des Afro-Américains, contre-culture hippie, etc. Des organisations pour la défense des droits LGBT existent déjà, mais leur portée n'est pas la même. Les gays sont régulièrement tabassés, même dans le quartier progressiste de Greenwich Village à New York.
Un bar gay tenu par la mafia
Pourtant, c'est dans ce quartier new-yorkais que vont apparaître des bars gays et lesbiens. Car s'il est interdit de servir à boire à un homosexuel, la mafia locale connaît ses propres règles. En 1966, la famille Genovese ouvre ainsi le Stonewall Inn, réservé aux gays, aux lesbiennes, aux trans, aux drag queens et à leurs amis. Derrière la vitre peinte en noire, la communauté est presque libre. "Les homos aimaient bien finir la soirée au Stonewall. D'abord parce que l'alcool était moins dilué qu'ailleurs. Ensuite parce que la clientèle était généralement plus jeune et plus exubérante", raconte Philip Bockman. "Et derrière le bar, il y avait une piste de danse", précise Perry Brass.
La police de New York fait des descentes régulières, mais les tenanciers sont prévenus et prennent des dispositions. Dans la nuit du 27 juin au 28 juin, une goutte d'eau fait déborder le vase. Les policiers veulent arrêter tout le monde, mais la foule commence à lancer des objets en tous genres. Ils se barricadent et la foule entame des déprédations. Des renforts de police évacuent leurs collègues, mais des contestataires les humilient en les poursuivant. Une douzaine de personnes sont arrêtées. Le lendemain soir, un millier de personnes se réunissent sur Christopher Street et les émeutes reprennent. Et rebelotte les soirs suivants. Seule la pluie les arrête. Les échauffourées durent jusqu'au 3 juillet.
Un vent de libération souffle
"Les événements de Stonewall ont permis à beaucoup de s'affirmer. Toute la colère, toute la frustration et toute la douleur qu'on refoulait à cause du carcan social ont subitement explosé", constate Perry Brass. Tout de suite après ces soirées de rébellion, les participants s'associent et fondent Le Gay Liberation Front (GLF).
Stonewall a été une bougie dans la nuit. GLF est devenu un chandelier.
Le groupe d'activistes GLF milite pour une libération de la sexualité et pour une redéfinition de la famille. Le journal "Come Out" fait son apparition. Plusieurs cellules de travail sont créées. "Les décisions étaient prises exclusivement à l'unanimité", se souvient Perry Brass. "Notre groupe était sans chef", abonde Ellen Broidy. Des actions sont menées, inspirées des mobilisations hippies, Black Panthers et féministes. Mais mener plusieurs combats en même temps s'avère compliqué. "C'était très difficile pour les hommes et les femmes, les Blancs et les Noirs de travailler ensemble", analyse l'historien George Chauncey. Résultat: en décembre 1969, le GLF enregistre sa première scission.
La première Gay Pride
Même si plusieurs groupes indépendants se forment autour du GLF, le détonateur "Stonewall" garde son pouvoir fédérateur. Ainsi, un an après les émeutes, un défilé est organisé à Christopher Street. "C'était pour signifier que Stonewall avait jeté les bases de quelque chose de nouveau", explique George Chauncey.
On a décidé qu'on allait défiler tous les ans pour que personne n'oublie.
Près de 6000 à 7000 personnes prennent leur courage à deux mains et remontent l'avenue jusqu'à Central Park, bravant les équipes de policiers à cheval, qui finissent par s'écarter. "C'était vraiment à couper le souffle", se souvient Perry Brass, avant de conclure: "Cela a donné un festival très sympa autour de la libération homosexuelle". Aujourd'hui la Gay Pride existe sur tous les continents (excepté l'Antarctique) et porte les noms de Pride ou de Marche des Fiertés.
En raison de la pandémie de Coronavirus, la NYC Pride 2020 est remplacée par une fête virtuelle le 28 juin. Ailleurs, la majorité des défilés se sont regroupés pour proposer une Global Pride en streaming le 27 juin.
>> Lire aussi le témoignage de Tree : 50 ans de Stonewall: le mouvement libérateur qui a fait naître la Gay Pride
Les Documentaires de la RTS/Histoire Vivante - Caroline Briner