Au-delà de la catastrophe écologique, la fumée pourrait aggraver la situation sanitaire, causant encore plus de problèmes respiratoires alors que les services de santé sont déjà saturés en raison du coronavirus.
Avec deux crises en parallèle, les spécialistes craignent que l'Amazonie n'entre dans un cercle vicieux. Plus la région est touchée par la pandémie, moins les autorités environnementales disposent de moyens et de personnel pour lutter contre les incendies. Et plus la forêt s'embrase, plus la crise sanitaire risque d'empirer.
En août dernier, les images de gigantesques feux de forêt dévastant la plus vaste forêt tropicale du monde ont suscité une énorme émotion. Ces incendies ont été minimisés par le président d'extrême droite Jair Bolsonaro, accusé par les écologistes de vouloir livrer la forêt amazonienne à l'agro-négoce.
Un rapport publié lundi par l'ONG Institut de recherches environnementales de l'Amazonie (Ipam) montre que la saison sèche, qui débute chaque année autour du mois de juin, pourrait être particulièrement dévastatrice.
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Bombe à retardement
Les incendies de forêt sont pour la plupart criminels, causés par des agriculteurs pratiquant le brûlis sur les zones déboisées pour pouvoir cultiver ou faire paître le bétail.
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L'an dernier, les feux de forêt ont commencé à diminuer quand le gouvernement a envoyé l'armée dans la région, alors que le Brésil était scruté de près par le monde entier.
Mais selon les spécialistes de l'Ipam, cela n'a fait que reporter les incendies. "Une zone déforestée d'au moins 4500 km2, trois fois plus grande que la ville de São Paulo, est prête à brûler", explique le rapport de l'ONG. Si 60% de cette surface devait partir en fumée, cela suffirait pour que l'ampleur des incendies soient équivalente à celle de l'année dernière.
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Entre temps, la déforestation n'a cessé d'augmenter, avec 1843 km2 déboisés lors des cinq premiers mois de 2020, un record. "Si la déforestation continue à ce rythme effréné lors des prochains mois, près de 9000 km2 pourraient être réduits en cendres", souligne l'Ipam.
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La plupart des spécialistes qui travaillent sur le terrain partagent le sentiment d'être en présence d'une bombe à retardement. "Ce que j'ai vu, sur les terres où je me suis rendue, c'est que les arbres ont déjà été coupés, ils n'ont simplement pas encore été brûlés", explique Erika Berenguer, chercheuse des Universités d'Oxford et Lancaster: "Si ça brûle maintenant, on aura des problèmes respiratoires à cause de la fumée, qui vont s'ajouter au coronavirus. C'est un vrai merdier", conclut-elle.
Diversion
Le Brésil, qui concentre sur son territoire environ 60% de la forêt amazonienne, est un des principaux foyers de Covid-19 au monde, avec plus de 38'000 morts. L'Amazonie est particulièrement touchée, comptant très peu d'hôpitaux et une population indigène particulièrement vulnérable face aux maladies venues de l'extérieur.
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L'Etat d'Amazonas ne dispose de lits en soins intensifs que dans la capitale Manaus, pour un territoire quatre fois plus grand que l'Allemagne. De nombreux patients doivent voyager plusieurs heures en bateau pour pouvoir être soignés dans un hôpital.
À Manaus, des fosses communes ont été ouvertes dans les cimetières et les hôpitaux ont recours à des camions frigorifiques pour y entasser les cadavres.
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Les ravages de la pandémie ont également diminué la capacité des autorités à combattre la déforestation. "Ceux qui déboisent et veulent s'accaparer les terres illégalement ne sont pas confinés, tandis que la police et autres agents du gouvernement sont mobilisés pour lutter contre le virus", a expliqué André Guimaraes, directeur de l'Ipam, au journal O Globo.
La pandémie a même été vue comme une aubaine par le ministre de l'Environnement Ricardo Salles. Dans une réunion ministérielle fin avril, il a affirmé vouloir profiter de "l'opportunité du fait que la presse soit focalisée sur le coronavirus" pour "passer des réformes et assouplir les règles" notamment liées à la protection de l'Amazonie.
ats/sjaq