La passation de pouvoirs aura lieu mercredi matin au Palais de
l'Elysée, le coeur du pouvoir en France. Auparavant, Jacques Chirac
doit faire ses adieux de président aux Français lors d'une
allocution radiotélévisée mardi à 20h00.
42 ans de politique
C'est ainsi une page ouverte il y a 42 ans dans le petit village
corrézien de Sainte-Féréole qui se referme avec le départ de
Jacques Chirac de l'Elysée, au terme d'une carrière politique hors
du commun, jalonnée par deux victoires présidentielles mais aussi
par des échecs retentissants.
Né le 29 novembre 1932 à Paris, le fils unique de François Chirac,
employé de banque devenu homme d'affaires, et de Marie-Louise
Valette, était un élève moyen et turbulent.
Fréquentes, ses écoles buissonnières le conduisaient néanmoins au
musée des Arts asiatiques Guimet à Paris, une passion de gamin qui
ne le quittera plus.
Décidément attiré par le grand large, le jeune Chirac embarque
comme marin sur un cargo, avant que son père ne le ramène dans le
droit chemin. Entré à Sciences Po, il trouve son ami Michel Rocard
"trop conservateur" et vend "L'Humanité" pendant deux semaines
avant de se convertir au gaullisme sur le tard, en 1958.
Mariage en 56 avec Bernadette
Parti à sa demande en Algérie en 1956, le sous-lieutenant Chirac
songe un temps à s'engager. Mais là encore, il rentrera vite dans
le rang. Il épouse en 1956 Bernadette Chodron de Courcel, issue de
la haute bourgeoisie. Ils auront deux filles: Claude, qui deviendra
la première conseillère de son père, et Laurence, l'aînée atteinte
d'anorexie, le "drame de (s)a vie", confiera-t-il bien plus
tard.
Après avoir décroché son diplôme de l'Ecole nationale
d'administration (ENA), Jacques Chirac fait ses débuts en 1962 dans
le cabinet du Premier ministre Georges Pompidou. Son dévouement lui
vaut une ascension fulgurante.
En 1965, il entame sa carrière politique au conseil municipal de
Sainte-Féréole (Corrèze), devient député deux ans plus tard, puis
occupe successivement le secrétariat d'Etat aux Affaires sociales
-où il crée l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) et mène des
négociations secrètes avec la CGT en mai 1968-, le secrétariat
d'Etat à l'Economie et aux Finances (1968-1971), le ministère des
Relations avec le Parlement (1971-1972), avant de s'imposer au
ministère de l'Agriculture (1972-1974), où on en garde un souvenir
ému.
Matignon en ligne de mire
Mais, à 42 ans, il a déjà une tout autre ambition: Matignon. Et
pour cela, il est prêt à trahir. "On a toujours dit de Chirac qu'il
était con, gentil et généreux. C'est tout le contraire: il est
intelligent, complexe et très intéressé", a dit de lui Nicolas
Sarkozy.
Contre toute attente, Jacques Chirac facilite en 1974 la victoire
de Valéry Giscard d'Estaing à l'élection présidentielle aux dépens
du gaulliste Jacques Chaban-Delmas. "VGE" lui ouvrira la porte de
Matignon, avant d'être trahi à son tour. En 1976, le Premier
ministre claque la porte du gouvernement avec fracas. Battu par
François Mitterrand en 1981, Giscard lui voue depuis une rancune
tenace.
Entre-temps, Jacques Chirac, qui a désormais l'Elysée en tête,
s'est constitué en 1976 une machine de guerre, le RPR, et s'est
trouvé un fief, la mairie de Paris, dont il s'empare en 1977 pour
ne plus la lâcher avant 1995. Ces dix-huit années parisiennes lui
vaudront, bien plus tard, d'être convoqué par des juges qui
soupçonnent un financement occulte du RPR.
François Mitterrand sur la route
Les "affaires" ne cesseront jamais d'émailler ses mandats,
jetant une lumière trouble sur sa personnalité. Mais dans les
années 1980, les juges sont encore loin et c'est François
Mitterrand qui lui barre la route de l'Elysée. A l'issue de deux
années de cohabitation orageuse, le Premier ministre est laminé par
le chef de l'Etat à la présidentielle de 1988.
Mais en 1995, Jacques Chirac est de retour, bien décidé à aller
chercher les voix "avec les dents", selon son expression. Alors
qu'il avait confié Matignon à Edouard Balladur, il est trahi par
son "ami de trente ans" devenu candidat à la présidentielle.
Lâché par les siens, le candidat Chirac met alors toute son
énergie dans ce qu'il réussit le mieux: les campagnes électorales.
Plus que jamais, il serre des mains, embrasse des enfants et
s'extasie devant les bovins du Salon de l'agriculture. Celui que
ses détracteurs surnommaient "facho-Chirac" prend aussi un
spectaculaire virage à gauche, plus en accord avec ses convictions
réelles, jure-t-il.
Président enfin en 95
En mai 1995, il est enfin élu, avec 52,6% des voix. Les Français
apprécient ce président décidément "sympa", qui préfère la bière au
champagne, a un impressionnant coup de fourchette et laisse croire
qu'il n'aime que les westerns et la musique militaire, quand il
cultive en secret une connaissance encyclopédique de la culture
asiatique et des Arts premiers, et une passion pour le sumo.
Mais ils seront vite déçus: élu pour lutter contre la "fracture
sociale", Jacques Chirac prend très vite le tournant de la rigueur,
au nom de l'entrée dans l'euro. La baisse des impôts est renvoyée à
plus tard. En décembre 1995, le plan Juppé de réforme de la "Sécu"
jette des millions de Français dans la rue. Le divorce est
consommé.
En 1997, le président décide néanmoins de dissoudre l'Assemblée
nationale et propulse du même coup le socialiste Lionel Jospin à
Matignon. Jacques Chirac n'aura pas exercé le pouvoir plus de deux
ans.
La bourde est monumentale mais l'animal politique bouge encore. A
force de piques savamment égrenées contre son Premier ministre, il
parvient encore à revenir sur le devant de la scène. Il faut dire
que cet homme-là, grincent ses adversaires, calque ses convictions
sur la courbe des sondages. Ses partisans y voient une incroyable
capacité à comprendre les Français, ses détracteurs de la
démagogie.
Deuxième chance en 2002
Reste le résultat: président sans bilan, il décroche une
deuxième chance en 2002. Mais c'est un tremblement de terre
politique qui la lui a donnée. Le 21 avril 2002, le président du
Front national Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour,
éliminant Lionel Jospin. Jacques Chirac est réélu avec 82% des
suffrages.
Il connaît ensuite une lune de miel avec les Français lorsqu'il
s'oppose à la guerre américaine en Irak début 2003. Mais, très
vite, le climat politique se gâte. Malgré un premier camouflet aux
élections régionales de 2004, il décide de consulter les Français
par référendum sur la Constitution européenne.
Accident de santé en 2005
La réponse tombe le 29 mai 2005: c'est "non". Quelques mois plus
tard, Jacques Chirac est victime d'un accident de santé. Il s'en
remettra, mais la page chiraquienne se tourne. Le 11 mars, il
confirme qu'il ne sollicitera pas un nouveau mandat, avant
d'apporter "tout naturellement" quelques jours plus tard son
soutien à Nicolas Sarkozy.
ap/tac
Une longévité exceptionnelle
Il a eu maille à partir avec Margaret Thatcher, accueillait Saddam Hussein en tant que Premier ministre en 1975 et aurait pu poser avec Mao: Jacques Chirac peut se prévaloir d'une longévité exceptionnelle, sans équivalent en Europe.
Quittant le pouvoir à 74 ans, il aura exercé les fonctions de président de la République pendant 12 ans. Une telle longévité n'est pas une première en France: en 1995, François Mitterrand avait 79 ans quand il a quitté l'Elysée, après deux septennats. Un record. Au total, la France n'aura donc connu que deux présidents en 26 ans, un cas unique en Europe.
Depuis dix ans, Jacques Chirac a usé la plupart des dirigeants européens, voyant passer deux Premier ministres britanniques (John Major et Tony Blair), trois chanceliers allemands (Helmut Kohl, Gerhard Schröder et Angela Merkel) et deux présidents américains (Bill Clinton et George W. Bush), alors que le pouvoir changeait de mains en Russie et même en Chine.
Rares sont, en Europe, ceux qui, comme lui, ont occupé les plus hautes fonctions sans discontinuer depuis 1995. Il faut en fait aller chercher hors du continent européen pour trouver des longévités supérieures: le leader nord-coréen Kim Jong Il est notamment au pouvoir depuis 1994, le président égyptien Hosni Moubarak depuis 1981, sans oublier le Guide libyen Moammar Kadhafi présent depuis 1969.
Mais le Vainqueur toutes catégories est Fidel Castro qui dirige Cuba depuis... 1959.
Retraite active en vue
Jacques Chirac va entamer à 74 ans une retraite qui devrait être active, mais risque d'être assombrie par quelques ennuis judiciaires. Au moment d'annoncer qu'il n'était pas candidat à un 3e mandat, le président sortant avait affirmé le 11 mars dernier vouloir "servir autrement" les Français. "Il y a une vie après la politique. Jusqu'à la mort", avait-il expliqué.
Cette nouvelle vie devrait tourner autour des thèmes qui lui sont chers: la mobilisation contre les changements climatiques - Chirac plaide pour la création d'une Organisation des Nations unies pour l'environnement-, une nouvelle solidarité internationale - il pourrait continuer à défendre son projet de taxation internationale sur les billets d'avion pour financer l'aide au développement- et le "dialogue des cultures".
Il devrait ainsi rapidement se tourner vers la création de sa "Fondation Jacques Chirac pour le développement durable et le dialogue des cultures", dont le lancement est prévu à l'automne.
Il devrait aussi profiter de son nouveau temps libre pour voyager ou se consacrer à sa passion pour les arts premiers. "Il voyagera", avait estimé en novembre son épouse Bernadette. Elle continuera quant à elle à porter le flambeau politique: son mandat de conseillère générale de Corrèze expire en 2010.
Reste à savoir si la justice laissera Jacques Chirac couler une retraite tranquille. S'il bénéficie d'une immunité pendant son mandat, celle-ci s'achèvera un mois après son départ de l'Elysée. Il pourra donc être entendu par un juge à partir de la mi-juin. Il pourrait notamment être inquiété dans le cadre de l'affaire des emplois fictifs du RPR, instruite à Nanterre.