Dimanche, lors d'une manifestation contre le racisme et en hommage à George Floyd – un Afro-Américain tué fin mai par un policier blanc aux Etats-Unis – la statue d'Edward Colston, marchand d'esclaves de la fin du XVIIe siècle qui a financé de nombreuses institutions de Bristol, a été jetée à l'eau.
Le célèbre street-artist Banksy a émis l'idée que le piédestal de la statue de Colston soit réutilisé afin de marquer l'événement.
Sur Instagram, il a proposé que son cadavre de métal soit repêché du port et réinstallé d'une façon particulière: "On attache un câble autour de son cou et on fait faire des statues de bronze grandeur nature des manifestants en train de le faire tomber. Tout le monde est content. Un jour grandiose commémoré", écrit-il facétieux sur le réseau social.
Cet acte a fait des émules ailleurs au Royaume-Uni. A Londres, dans le quartier des Docklands, près des gratte-ciel du quartier d'affaires de Canary Wharf, la statue du marchand esclavagiste Robert Milligan (XVIIe-XVIIIe siècle) a été enlevée au moyen d'un engin de chantier sous des applaudissements, selon une vidéo postée sur Twitter par le conseil de Tower Hamlets: "Nous devons (...) parler de ce que nous pouvons apprendre de ceci et comment ces événements peuvent rendre notre communauté plus forte", a commenté le maire travailliste John Biggs.
Au Pays de Galles, des campagnes ont été lancées contre les monuments rendant hommage à un général de l'armée britannique qui avait combattu lors des guerres napoléoniennes, Thomas Picton, tristement célèbre pour son traitement des esclaves dans les Caraïbes.
A Edimbourg, en Ecosse, la statue de l'homme politique Henry Dundas, qui a œuvré pour retarder l'abolition de l'esclavage, pose question. Comme à Oxford, des élus locaux de Cardiff et Edimbourg se sont prononcés en faveur du retrait de ces monuments.
Léopold II, le pilleur du Congo
La mort de George Floyd a relancé le débat sur les violences de la colonisation belge au Congo et la responsabilité du roi Léopold II, dont les statues sont la cible de la colère des militants antiracistes.
Mardi à Anvers (nord), une de ces statues a même été retirée d'un square, après avoir été vandalisée (voir photo en tête d'article) pour être transportée dans les réserves du Musée Middelheim, où son état doit être "examiné", selon le musée anversois.
Elle restera "probablement" dans les collections de l'établissement, connu pour ses sculptures en plein air, a affirmé pour sa part Johan Vermant, porte-parole du maire de la cité portuaire Bart De Wever.
La statue du roi avec sa longue barbe et sa veste à épaulettes a été vandalisée la semaine dernière, comme plusieurs autres à travers le pays. Elle a été partiellement incendiée et recouverte de peinture rouge, couleur symbolisant le sang versé par les Congolais.
Cette série de dégradations n'a pas été revendiquée mais elle survient sur fond de mobilisation en hommage à George Floyd, et au moment où plusieurs pétitions initiées par des Belges d'origine africaine exigent le retrait des statues de Léopold II.
Surnommé "le roi bâtisseur", celui qui a régné de 1865 à 1909 est "un héros pour certains, mais aussi un bourreau", "il a tué plus de dix millions de Congolais", a accusé le groupe "Réparons l'Histoire", dont la pétition concernant les statues de Bruxelles a recueilli mercredi à 16h presque 70'000 signatures.
Pour les experts, cette mobilisation est le signe d'une soif de vérité sur ce que fut réellement l'occupation du Congo jusqu'à l'indépendance de 1960, car le débat avance "trop lentement" en Belgique.
Dimanche à Bruxelles une manifestation contre le racisme sous le mot d'ordre "Black Lives Matter" (les vies des Noirs comptent) avait rassemblé 10'000 personnes selon la police.
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David de Pury et Neuchâtel
A Neuchâtel, près de 1200 signatures ont déjà été récoltées mercredi matin pour faire disparaître la statue de David de Pury, qui avait fait fortune du temps de l'esclavage.
Le négociant a légué des centaines de millions à la Ville, qui ont permis la construction de nombreux bâtiments... Mais lui rendre hommage aujourd'hui, ce n'est plus acceptable aux yeux de ces activistes.
Le collectif à l'origine de la pétition demande le remplacement de la statue par une plaque commémorative en hommage aux victimes de racisme. La Ville de Neuchâtel se dit ouverte au dialogue.
Un débat similaire qui avait déjà eu lieu à Neuchâtel, alors que la ville renommait l'espace Louis Agassiz, glaciologue aussi connu pour ses thèses racistes, en espace Tilo Frey, première Neuchâteloise sous la Coupole fédérale.
>> Lire aussi : Mobilisation à Neuchâtel pour déboulonner la statue de David de Pury
Des Confédérés déjà déboulonnés
Lors de l'été 2017, plusieurs statues de soldat de la Confédération des Etats du sud des Etats-Unis – qui défendaient l'esclavagisme lors de la guerre de Sécession – sont renversées au grand dam de Donald Trump.
>> Lire : Donald Trump "triste" de voir le retrait de statues et monuments américains
Le 12 août, une femme meurt à Charlottesville dans une attaque à la voiture-bélier conduite par un néo-nazi s'opposant au déboulonnage d'une statue confédérée.
A Durham (Caroline du Nord), à Gaineville (Floride), Baltimore (Maryland) à la Nouvelle-Orléans (Louisiane) ou encore à Austin (Texas), plusieurs statues érigées en l'honneur de généraux esclavagistes sont démolies les jours suivants.
Même scénario samedi dernier à Richmond (Virginie) où la statue de Williams Carter Wikham, un autre général des Confédérés, est mise à terre et taguée lors d'une manifestation contre les violences policières.
Christophe Colomb décapité
Une statue de Christophe Colomb a été décapitée à Boston, une autre vandalisée à Miami et une troisième jetée dans un lac en Virginie.
La statue de Boston avait déjà été vandalisée auparavant, l'image de Christophe Colomb étant contestée aux Etats-Unis depuis plusieurs années.
Le navigateur génois, longtemps présenté comme le "découvreur de l'Amérique", est désormais souvent considéré comme une des figures du génocide des Amérindiens et des indigènes en général.
Il est dénoncé au même titre que les esclavagistes ou les généraux confédérés pendant la guerre de Sécession.
Des dizaines de villes américaines ont remplacé la célébration en octobre de "Columbus Day" – devenu jour férié fédéral en 1937 – par une journée d'hommage aux "peuples indigènes". Mais pas Boston ni New York, qui comptent de fortes communautés d'origine italienne auxquelles cette journée rend hommage.
Stéphanie Jaquet et les agences
Courbet et Napoléon
Le 16 mai 1871, alors que la Commune de Paris est en insurrection contre le gouvernement après la défaite face à la Prusse en 1870, les communards parisiens déboulonnent la colonne Vendôme, où la statue de Napoléon Ier trône à plus de quarante mètres de haut.
Le peintre Gustave Courbet est jugé, condamné et emprisonné pendant six mois pour avoir mené ce mouvement et la colonne sera reconstruite au même endroit, en 1873, à ses frais.
D'autres déboulonnages historiques
Le 9 avril 2003, une centaine d'Irakiens épaulés par un blindé américain font chuter la statue de Saddam Hussein, matérialisant la chute d'un régime dictatorial en place depuis 24 ans.
Le 25 mars 2011, une statue du président syrien défunt, Hafez al-Assad, est déboulonnée à Deraa. Près de 300 jeunes scandant des slogans hostiles au régime montent dessus, marquant le début du Printemps arabe syrien.
Le 18 mars 2018, les combattants de l'offensive turque dans l'enclave kurde d'Afrine concentrent leur colère sur un homme hors du commun: Kawa le forgeron, héros mythologique adulé par les Kurdes, dont la statue est déboulonnée.
Le 17 novembre 1989, les habitants de Varsovie applaudissent l'explosion d'une statue de Felix Dzerjinski, le fondateur de la Tcheka, ancêtre du KGB, et s'en partagent des fragments comme souvenirs de la chute du communisme en Pologne.
Après la chute de Ceausescu, la Roumanie se débarrasse elle aussi des symboles de domination soviétique, en démembrant en mars 1990 la statue de Lénine qui surplombait la place de l'Etoile de Bucarest.
Une autre statue de Felix Dzerjinski est déboulonnée le 22 août 1991, à Moscou cette fois place de la Loubianka, devant le siège du KGB.
En Géorgie, il faut attendre 2010 pour que la statue de six mètres de haut de Staline soit déboulonnée en catimini, de nuit, dans sa ville natale de Gori, où elle se trouvait depuis 1952. Mais le conseil municipal décide de la réinstaller en 2013, devant le musée de la ville.
Le 8 décembre 2013 en Ukraine, une trentaine de manifestants renversent une statue de Lénine. En 2015, le nouveau gouvernement interdit les monuments à la gloire de responsables soviétiques, qui sont démontés.
Le 23 mai 2020, deux statues de Victor Schoelcher ont été renversées en Martinique par des militants anti-béké et hostiles à l'héritage colonial. Ces hommages à celui qui avait décrété l'abolition de l'esclavage le 27 avril 1848 empêchent, pour certains opposants, la reconnaissance des héros locaux de l'abolition.
afp/sjaq