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La France, pays en guerre civile quinquennale

12 candidats pour 2 places au 2e tour. Qui l'emportera le 22 avril?
12 candidats pour 2 places au 2e tour. Qui l'emportera le 22 avril?
La tension monte dans l'Hexagone. A quelques jours de l'élection présidentielle (le 22 avril), c'est l'occasion de faire le point sur les enjeux du scrutin en compagnie de Jean-Philippe Leresche, qui nous donne son point de vue de politologue suisse.

Docteur en sciences politiques, Jean-Philippe Leresche dirige
actuellement l'Observatoire Science, Politique et Société (OSPS) de
l'Université de Lausanne. Il est également professeur à l'Institut
d'études politiques et internationales (IEPI), toujours à l'UNIL.
Il évoque ci-dessous les enjeux de la campagne présidentielle, et
se penche sur l'avenir de la France en Europe.

Jean-Philippe Leresche, quelle est votre première
impression de politologue suisse sur cette campagne
électorale?




Vu d'ici, il y a comme à chaque élection présidentielle cette
impression d'une France plongée dans une sorte de «guerre civile».
C'est un mode de débat qui est propre à la France, au système
électoral à deux tours, où s'affrontent deux grands blocs. On
raisonne «programme contre programme» et surtout «personne contre
personne», d'où une forte personnalisation de la campagne. Tout
ceci se distingue fondamentalement de la Suisse, où l'on essaie de
voir ce qui rapproche les gens et ce qui leur permet de gouverner
ensemble.

Vous parlez de deux grands blocs
qui s'affrontent. On a pourtant l'impression que la confrontation
classique gauche-droite est moins évidente que par le passé, avec
l'émergence de candidats comme François Bayrou
.



C'est une illusion d'optique. Le clivage gauche-droite est
toujours là et a toujours existé. Mais c'est vrai qu'il s'est
complexifié. On assiste à un entrecroisement de clivages à
l'intérieur des deux camps. Il y a une gauche pro-européenne ou
anti-européenne, et il y a une gauche gouvernementale ou non
gouvernementale. Cette constatation, de façon symétrique, est
valable aussi à droite.

En France, on
raisonne «programme contre programme» et «personne contre
personne». Tout ceci se distingue fondamentalement de la Suisse, où
l'on essaie de voir ce qui rapproche les gens et ce qui leur permet
de gouverner ensemble.»

Paragraphe qui permet de
faire apparaître la citation

Il y a tout de même des politiciens, à l'image du
candidat UDF, qui essaient de jouer les
rassembleurs.




François Bayrou fait commerce de la disparition de ce clivage,
mais il n'est pas le premier. Il y a eu Jean-Pierre Chevènement en
2002 qui voulait rassembler les anti-Européens, Jacques Chirac en
1995 avec son thème de la «fracture sociale», et même François
Mitterrand avec son slogan «la France unie». Tous ont d'une
certaine manière voulu dépasser ce clivage. Cependant - à
l'exception de 2002 -, l'affrontement gauche-droite se revivifie au
second tour.

Le thème de l'insécurité, central en 2002 mais peu
présent cette année, a fait un retour en force après les événements
de la Gare du Nord à Paris...




Ce thème est un échappatoire pour éviter d'affronter des sujets
très présents depuis deux ans : l'Europe avec le traité
constitutionnel et l'environnement avec la non candidature de
Nicolas Hulot. L'insécurité retrouve un peu de place dans la
dernière ligne droite et on ressort ainsi des thèmes et des
«vieilles ficelles» de campagne électorale, en essayant notamment
de jouer sur le registre de la peur.



Du pain béni pour Sarkozy, voire même pour Le
Pen...




Certains pense qu'on est en train de «refaire le coup» de 2002.
C'est assez symptomatique: plus on approche de l'échéance des
élections, plus on s'éloigne de la réalité des problèmes que la
France et les Français rencontrent chaque jour - problèmes
économique et sociaux. Mais est-ce que ça peut marcher deux fois de
suite? Je n'en suis pas sûr...

Parmi les soucis des Français, il y a leur
porte-monnaie. L'économie française n'est pas dans son meilleur
jour...




On parle en effet beaucoup du pouvoir d'achat des Français qui
aurait baissé, mais il n'y a pas vraiment de chiffres clairs qui le
prouvent. Ce qui est sûr en revanche, c'est que la situation
économique de la France n'est pas bonne du point de vue des
déficits publics. Si la France devait entrer dans la zone euro
aujourd'hui, elle ne répondrait plus à tous les critères... D'autre
part, le chômage est relativement élevé - près de 10% - et il
baisse moins qu'ailleurs.



Plusieurs candidats imputent ces problèmes économiques à
l'Europe et à sa politique libérale.




Quand il y a un problème, on essaie de trouver un bouc émissaire,
et ça s'est manifesté très clairement dans le rejet français de la
Constitution européenne. Mais ce n'est pas seulement l'Europe qui
est au cœur du problème. C'est plutôt le contexte de globalisation
dans lequel nous nous trouvons.



C'est-à-dire?



L'idée que les problèmes intérieurs sont imputés à une cause
extérieure émerge dans plusieurs pays qui cherchent des réponses à
la libéralisation des échanges. Souvenez-vous, le gouvernement de
Villepin en a appelé dès ses débuts à une sorte de «patriotisme
économique». Quelle est la place du cadre national et de la
politique dans des économies libéralisées? Telle est la
question.



Propos recueillis par Patrick Suhner (SWISS TXT)

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Quel rôle pour la France en Europe?

P.Suhner: La France ne semble pas trouver de réponse à ses prolèmes économiques. Pourtant, certains pays, comme l'Allemagne, ont redressé la tête. Quel est le problème de l'Hexagone?

J-Ph.Leresche: «C'est une question de choix de société. La France a l'un des taux de prélèvement obligatoire (plus de 50%) les plus élevés d'Europe. La contrepartie, c'est le modèle social français. L'un des meilleurs du monde. Dès lors, quel est le prix que la France est prête à payer pour conserver son modèle social?

Vu les échecs du gouvernement sur le CPE et la Constitution, le peuple français n'est pas prêt à faire des concessions. Les Français ont une haute estime du rôle de l'Etat, et l'on peut dire que la priorité est donnée à la sécurité sociale plutôt qu'à la performance globale de l'économie française.

On n'est pas près de revoir une France locomotive de l'Europe aux côtés de l'Allemagne...

Du point de vue économique, c'est difficile à dire. La France reste tout de même la 5e ou 6e puissance industrielle du monde. Toutefois, au niveau politique, le couple franco-allemand a effectivement explosé, c'est un fait tout à fait nouveau. Et la France a un problème: depuis l'automne dernier, le sujet européen est devenu tabou. Il faut regarder les programmes des candidats de très près pour voir ce qu'ils pensent de l'Europe.

Royal, Sarkozy et Bayrou sont pourtant tous en faveur d'un nouveau traité, non?

Oui, mais vu les difficultés du débat sur la question en France, aucun d'entre eux n'a intérêt à faire de l'Europe un thème central de sa campagne, ni à s'engager rapidement après l'élection. Il ne faut pas oublier que Ségolène Royal, par exemple, doit gérer dans son propre camp une partie de la coalition du non à la Constitution. Je pense à Jean-Pierre Chevènement ou Laurent Fabius, qui se sont rangés derrière la candidate en ayant sans doute obtenu des garanties sur la question.

La France devra présider l'UE en 2008...

C'est justement là le problème. Présidant actuellement l'Union, l'Allemagne a fixé pour objectif d'élaborer un nouveau traité d'ici à 2009. Or on va se retrouver l'an prochain avec une France qui devra à son tour présider l'UE, mais sans avoir fait mûrir un projet, ce qui va ralentir considérablement la mécanique. Il y a là un conflit de calendrier entre la France et l'Allemagne. Ce manque de vision commune et robuste est un problème pour l'Europe.