"La situation en Amérique latine est très préoccupante"

En Amérique latine, la pandémie "peut nous ramener 13 ans en arrière", a averti Alicia Barcena, secrétaire générale de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). "Nous devons voir comment éviter que la crise sanitaire ne devienne une crise alimentaire", a-t-elle ajouté.

La situation dans le sous continent américain est "très préoccupante" estime Sébastien Velut, professeur de géographie à l'Institut des hautes études de l'Amérique latine (IHEAL) à Paris, interrogé vendredi dans La Matinale. "Les économies de la région sont très volatiles. Elles sont faites en alternance de fortes croissances et de fortes récessions, et c'est bien ce qu'il va se passer", développe le chercheur.

Systèmes sanitaires à géométrie variable

Au-delà du secteur économique, c'est surtout l'état du système sanitaire qui alerte le professeur: "Le système de santé en Amérique latine est sous-dimensionné par rapport à ce que l'on a en Europe. Cela pose un problème par rapport à la montée des cas, et par ailleurs, il est très segmenté socialement. L'accès pour les plus pauvres y est problématique. Un collègue bolivien me disait hier qu'il n'y avait qu'un hôpital public avec des lits de soins intensifs capable d'accueillir les malades du coronavirus dans une ville de plusieurs millions d'habitants".

Pourtant, au plus fort de la pandémie, des pays comme l'Argentine ou l'Uruguay tirent leur épingle du jeu et limitent la casse. Pour Sébastien Velut, c'est un ensemble de facteurs qui explique cela: "Tout d'abord, ils ont gardé un système de santé publique plus solide, avec des hôpitaux mieux dotés. Et puis, ce sont des pays qui ont aussi pris au sérieux la quarantaine et qui ont mis en place des mesures pour les plus pauvres, comme leur octroyer un revenu minimal pendant le confinement".

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AP Photo/Keystone - Martin Mejia

Déconfinement au Brésil

Le Brésil, plus grand pays d'Amérique latine, peuplé de 212 millions d'habitants, a franchi le seuil des 40'000 morts et des 800'000 cas confirmés. Le pays se situe au deuxième rang mondial en termes de contaminations, derrière les Etats-Unis.

"Au Brésil, les mesures de confinement n'ont jamais fait l'unanimité. D'ailleurs, elles n'ont jamais été complètes. Et le premier à s'y être opposé était le président Bolsonaro, qui dès le début de l'épidémie a déclaré que c'était inutile", rappelle Sébastien Velut sur l'antenne de la RTS.

En dépit de la forte progression de l'épidémie, les centres commerciaux ont rouvert à Rio de Janeiro et Sao Paulo. Un déconfinement auquel le chercheur de l'IHEAL ne croit pas: "Je pense qu'il n'y a pas eu de discipline en phase de confinement. Je ne pense pas qu'il y en aura en phase de déconfinement".

Jair Bolsonaro risque gros

La grande question tourne désormais autour du destin de Jair Bolsonaro. Le président brésilien est sous le feu des critiques pour avoir sous-estimé l'ampleur de la pandémie. Mais que risque-t-il réellement?

"Plusieurs scénarios sont possibles: du fait de son irresponsabilité, il pourrait être mené face à une procédure de destitution qui est prévue par la Constitution. Mais la question est de savoir qui lancerait une telle démarche et qui prendrait le pouvoir?", s'interroge Sébastien Velut.

"Au Brésil, il y a des bruits qui courent pour savoir si l'armée serait en mesure de faire un coup d'Etat. Mais les chefs militaires sont proches de Bolsonaro. Tout dépend aussi de la relation du président avec les milieux d'affaires et une partie de la droite conservatrice. Mais en étant contre le confinement, le chef d'Etat a donné des gages au secteur économique", conclut le spécialiste en géopolitique latino-américaine.

Propos recueillis par Romaine Morard

Adaptation web: Jérémie Favre