La Libye est plongée dans le chaos depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011. Une guerre civile oppose principalement deux camps: le gouvernement d'union nationale, reconnu par l'ONU, et le maréchal Haftar, implanté dans l'est. Ce dernier peut compter sur le soutien entre autres de l'Egypte, qui a d'ailleurs menacé pendant le week-end d'intervenir directement dans le conflit.
Le maréchal Khalifa Haftar a en effet subi plusieurs défaites ces dernières semaines. Il a échoué à prendre le contrôle de la capitale, Tripoli, et a dû se replier dans l'est.
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Avec le recul des troupes du maréchal Haftar, on découvre avec quels effectifs il a mené la guerre: il a notamment fait appel à des jeunes, et même de très jeunes Libyens.
Une armée de milices et de jeunes
Le maréchal Haftar assure être à la tête de l'Armée nationale libyenne (ANL) qu'il présente comme la seule structure organisée, capable de faire régner l'ordre dans le pays.
Or, son armée est en fait une addition de milices. Ces milices peuvent retourner leur veste si elles estiment qu'elles ont mieux à gagner en se battant avec le camp adverse.
Il a aussi engagé des milliers de mercenaires tchadiens, soudanais, russes et syriens. Il manque tellement de bras qu'il a recruté des jeunes Libyens, et même des mineurs.
Certains de ces adolescents ont été arrêtés et emprisonnés à Zaouia, une ville située à environ 50 km de Tripoli.
Une journaliste de la RTS a pu les rencontrer dans un ancien poste de police de l'époque de Kadhafi, aujourd'hui occupé par des groupes armés. Dans la cour se trouvent des picks-up avec des lance-roquettes et des canons anti-aérien sur la plateforme arrière.
Dans des cellules improvisées et surpeuplées s'entassent des centaines de jeunes, pour la plupart de moins de 20 ans, certains sont même mineurs.
"On s'est enrôlé dans l'armée pour une seule raison: parce qu'on a besoin de travailler", explique Amin*, 18 ans.
Ces jeunes vivaient dans des villes de l'ouest libyen conquises par le maréchal Haftar qui engage des forces sur son passage.
Tous les détenus racontent la même histoire: s'ils se sont enrôlés c'est qu'ils n'avaient pas vraiment le choix.
Pour Mustapha*, 18 ans, c'est une annonce sur Facebook qui l'a amené à s'engager. "J'ai deux sœurs. Ma mère est morte et mon père est malade. On n'a rien. Mon père m'a donné son accord parce que je lui ai répété et répété ce que les recruteurs nous avaient assuré: qu'on resterait dans notre ville, à Sabratha".
"Si on a choisi l'armée, c'est juste parce qu'on est pauvre. On n'est pas là pour Haftar ou qui que ce soit d'autre, on est là pour l'argent. Ils nous avaient promis un salaire mais on n'a jamais reçu un centime".
Omar*, 17 ans, quant à lui, précise: "notre âge n'a jamais été évoqué pendant le recrutement mais ils ont demandé l'accord de nos parents. Ils ne nous ont jamais dit non plus qu'ils nous enverraient prendre Tripoli".
Le 4 avril 2019, les jeunes soldats à peine formés reçoivent l'ordre de se rendre à Tripoli.
Un jeune raconte: "On nous a fait croire que tout était organisé, préparé. Et qu'on pourrait rejoindre Tripoli sans difficultés. On nous a assurés que les choses se feraient sans combat. Avant cela, on nous a formés pendant 26 jours seulement. On a seulement appris à défiler. On ne nous a pas appris à manier les armes".
A 27 km de la capitale, les milices de Zaouia les attaquent et ils sont depuis détenus dans cette prison improvisée.
Le jeune de 17 ans reprend: "notre chef nous avait assuré que les autorités de chaque ville qu'on allait traverser avaient donné leur aval pour nous laisser passer et nous diriger sur Tripoli. Mais tout à coup, on s'est fait tirer dessus. On n'était pas du tout prêt à cela. On n'avait pas d'armes. Notre chef nous a trahis. Il a été capturé avec nous mais il a tout de suite été libéré, parce qu'il a payé et il nous a laissés ici".
"J'avais accepté de devenir soldat uniquement pour protéger nos frontières, ou pour lutter contre Daesh. Pas pour faire la guerre contre d'autres Libyens. Ces gens se sont servis de nous pour qu'on s'entretue", conclut Mustapha*.
Trafic et argent
Ces témoignages montrent bien la problématique du conflit libyen: tout est devenu trafic et argent La motivation des combattants sur le terrain est bien plus économique que politique ou idéologique.
De plus, en Libye, la propagande, des deux côtés, est extrêmement importante. Le maréchal Haftar a ainsi réussi à faire croire qu'il avait une vraie armée. De l'autre côté, le gouvernement de Tripoli s'appuie lui aussi sur des milices et des mercenaires pour se défendre.
Ces jeunes qui ont accepté de témoigner brisent l'image d'une armée robuste, propre que le maréchal Haftar veut montrer en Libye comme d'ailleurs à l'étranger.
Dans ce contexte, même si les forces de Haftar perdent du terrain, les chances de libération de ces jeunes sont faibles. Ils sont pauvres, leurs familles n'ont pas les moyens d'acheter leur libération. Ils risquent donc de rester encore longtemps en prison.
*Prénom modifié
Maurine Mercier/lan