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QAnon, cette théorie du complot qui s'immisce dans la politique américaine

Un Q pour Qanon pendant un meeting de Donald Trump, le 2 août 2018. [Keystone - AP Photo/Matt Rourke]
Comment les théories complotistes impactent la vie politique américaine? / Tout un monde / 13 min. / le 25 juin 2020
QAnon: "Anon" pour anonymous et "Q", une personne qui aurait accès à des secrets d'État sur un gouvernement manipulant le monde. L'émission Tout un monde est revenue sur l'omniprésence des théories du complot dans la politique américaine.

Dans l'État américain de l'Oregon, Jo Rae Perkins est une candidate républicaine au Sénat. Après avoir remporté les élections primaires de son parti, en mai, elle a posté une vidéo où elle remercie Donald Trump ainsi que le mouvement "QAnon". La vidéo a depuis été retirée. Mais cela montre que ce nouveau mouvement conspirationniste gagne de plus en plus en visibilité, jusque dans les hautes sphères de la politique américaine.

"QAnon est une communauté qui génère des théories conspirationnistes basées sur les messages d'une personne anonyme nommée Q. Ce Q laisse des messages sur des forums et les gens de cette communauté croient qu'en décodant ces messages, ils peuvent comprendre ce qui se passe dans les coulisses du gouvernement", explique Travis View, spécialiste des théories conspirationnistes et plus particulièrement du mouvement "QAnon".

Quant au président américain, il n'a jamais affiché de lien officiel avec "QAnon". Mais il relaie souvent dans ses tweets des comptes associés à ce mouvement.

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Comment répondre à un complotiste? / Le Point J / 10 min. / le 27 mai 2020

Des adeptes de Donald Trump

Les adeptes de cette théorie se compteraient en centaines de milliers. Ils ont une caractéristique en commun: ils sont, pour la plupart, des supporters de Donald Trump. Selon Travis View, "ils croient en cette promesse que Trump est la seule personne capable de détruire cet État dans l'État".

Le correspondant de la RTS aux États-Unis, Raphaël Grand, a pu s'entretenir avec deux membres de la communauté "QAnon". Greg, habitant du Missouri, a commencé à suivre ces théories en février 2020 grâce à un de ses amis qui a partagé un article sur "l'enquête russe". Cet article sur l'affaire de l'ancien conseiller de Donald Trump, Michael Flynn, et de ses relations avec un diplomate russe comportait des liens avec "QAnon".

"Ce que je trouve intéressant, c'est que Q est la 17e lettre de l'alphabet. Et ensuite quand vous regardez l'enquête russe, le chiffre 17 apparaît dans les rapports. Pensez aussi aux 17 charges additionnelles contre Julian Assange pour l'extrader. Et Trump utilise aussi ce chiffre. Récemment, au sujet des nouvelles forces spatiales, il a évoqué un super missile 17 fois plus rapide", explique Greg.

Austin est un Américain, la trentaine, qui se définit comme chrétien de la droite dure et soutien de Donald Trump. Il ne se soucie pas de savoir si son opinion est la même que la plupart des gens. "Je crois avoir assez de connaissances historiques. J'ai passé du temps à lire des livres, et j'ai découvert des similarités à travers l'Histoire. Il y a des périodes pendant lesquelles l'opinion la plus populaire est totalement fausse. J'aime Trump et de plus en plus de personnes l'apprécient, malgré les critiques", expose Austin avant de parler de la vidéo qui l'a fait aimer le président américain.

"Avec Trump, le truc c'est qu'il est totalement transparent et honnête. Il nous dit la vérité, même si ça se retourne contre lui. Et je pense, qu'en réalité, il est très impliqué dans le mouvement QAnon. Il nous le dira sans doute jamais ou peut-être quand tout sera terminé", poursuit Austin en parlant de la vidéo.

"Trump est un adepte des théories du complot"

Aux États-Unis, les théories du complot ont quitté les forums internet et les sites obscures du "dark web" . C'est maintenant un élément qui fait partie du paysage politique et qui se retrouve même dans les discours ou le fil Twitter de Donald Trump. Le président américain est "un adepte des théories du complot", selon Nancy Rosenbloom, professeure émérite à l'Université de Harvard et spécialiste des mouvements conspirationnistes.

Et les 82 millions d'abonnés sur Twitter du pensionnaire de la Maison Blanche lui permettent de diffuser largement des théories vérifiée comme fausses, tout en leur donnant une légitimité présidentielle. "Donald Trump absorbe et invente lui-même ce genre de messages, les diffuse et les légitimise. Par exemple, le jour de son investiture, quand il a dit qu'il n'y avait jamais eu autant de personne à l'investiture d'un président. Et ensuite on a vu les photos du Service national des parcs qui montraient que le foule était plutôt modeste. Trump a répliqué que la photo avait été truquée. On a un président qui croit aux complots", analyse Nancy Rosenbloom.

Dernièrement encore, lors d'une manifestation du mouvement "Black Lives Matter" à Buffalo, une vidéo montre un homme de 75 ans se faire heurter par la police et tomber violemment au sol, se blessant au niveau de la tête. Selon Donald Trump, cet homme serait un militant d'extrême gauche, qui essayait de brouiller les communication de la police. Une théorie avancée sans preuve.

Donald Trump a aussi soutenu que l'animateur de l'émission matinale de MSNBC et détracteur du président, Joe Scarborough, aurait tué son assistante en 2001. Une enquête de police ainsi que des enquêtes de médias américains ont prouvé que cette affirmation était fausse. Le New York Times classe cette histoire dans les théories du complot, rappelant que Donald Trump a un vrai penchant pour les complots qu'il utilise comme armes contre ses adversaires politiques.

"QAnon": une menace terroriste?

"Il y a cette mise en garde du FBI contre les théories complotistes. Et ils nomment spécifiquement les QAnon comme une possible menace extrémiste. Et je crois qu'on peut effectivement parler d'une menace terroriste", relate Travis View.

Aux États-Unis, les théories du complot peuvent prendre des tournants tragiques. En décembre 2016, un homme est entré dans une pizzeria de Washington avant d'ouvrir le feu avec son arme semi-automatique. Il venait depuis la Caroline du Nord pour "délivrer des enfants" du Pizzagate. Cette théorie complotiste affirmait que que les élites démocrates, comme Hillary Clinton, enfermaient des enfants dans le sous-sol d'une pizzeria de Washington.

>> Lire aussi : "Pizzagate", ou quand une théorie complotiste tourne à l'attaque armée

"Si Joe Biden gagne la présidence, certains adeptes pourraient réellement croire qu'il est un pédophile, à la tête d'un complot pour diriger le monde. Certains pourraient se dire qu'il est justifié d'utiliser alors la violence contre lui", conclut Kathryn Olmsted, professeure à l'Université de Davis en Californie.

Sujet: Raphaël Grand

Adaptation web: Grégoire Perroud

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