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Le pari d'Edouard Philippe, Premier ministre et candidat aux municipales

Edouard Philippe. Le coronavirus a boosté la popularité du premier ministre français. De quoi faire de l'ombre à Emmanuel Macron
Edouard Philippe. Le coronavirus a boosté la popularité du premier ministre français. De quoi faire de l'ombre à Emmanuel Macron / 19h30 / 2 min. / le 26 juin 2020
Donné favori dimanche au deuxième tour des élections municipales au Havre, le Premier ministre français Edouard Philippe n'en joue pas moins - habilement - son avenir national dans le port normand.

Qu'un Premier ministre brigue une mairie n'était plus arrivé depuis Alain Juppé à Bordeaux en 1995 et pour cause, d'un point de vue politique, c'est un véritable coup de poker que joue le chef du gouvernement français en se présentant au Havre, une ville de 170'000 habitants dont il a été maire de 2010 à 2017.

Une défaite contraindrait probablement Emmanuel Macron à se séparer d'un des éléments les plus populaires de son gouvernement à un moment charnière de son mandat. Une victoire renforcerait en revanche Edouard Philippe, homme de droite convaincu, qui aurait alors tout le loisir d'imprimer sa patte sur la seconde moitié du quinquennat. Comprendre: éviter un virage trop à gauche à son goût.

Rival communiste

Mais contrairement à 2014 où il avait raflé Le Havre au premier tour avec 52% des suffrages, Edouard Philippe a été mis en ballottage le 15 mars suite à la percée surprise du candidat communiste Jean-Paul Lecoq. Un mauvais présage? Le signe en tout cas d'une bataille plus serrée que prévu. "C'est pas gagné. Il y a un match", reconnaît-on dans le camp Philippe. "Si Edouard Philippe est battu au Havre, on en parlerait jusqu'à Marseille", s'est exclamé non sans malice le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, venu soutenir le camarade Lecoq.

Ce qui plaît chez Edouard Philippe, c'est l'anti-Macron

Pascal Perrineau, politologue

Preuve que la "menace rouge" est prise au sérieux, le Premier ministre a délaissé la capitale ces dernières semaines pour venir rappeler son attachement à sa ville. Il a aussi apporté quelques inflexions à son discours. D'un "je serai de retour au Havre au plus tard en mai 2022", Edouard Philippe est passé à "mon objectif, c'est d'être maire du Havre vite. Ca peut arriver très vite. Si ça arrive très vite, ce sera très bien", relevait Le Monde dans un article publié mardi. Une nuance de taille alors qu'il avait jusqu'ici toujours assuré qu'il resterait chef du gouvernement aussi longtemps que possible et confierait dans l'intervalle son fauteuil à Jean-Baptiste Gastinne, qui assure déjà l'intérim depuis 2019.

Faut-il pour autant y voir une tentative de convaincre ses futurs administrés ou un signe annonciateur d'un remaniement ministériel? "Edouard Philippe a le sens du devoir: il a dit que si on lui demande de rester, il restera. Mais il a aussi prévenu: 'Emmanuel Macron sait qui je suis, ce que j'incarne, ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire'", nuance le politologue Pascal Perrineau. Une façon habile de faire passer un message au président qui doit engager début juillet un "nouveau chemin" pour la France jusqu'à 2022.

Un style qui plaît

Car la situation a bien changé au cours des trois mois qui ont séparé les deux tours des élections municipales, coronavirus oblige. La réforme des retraites qui a pu nuire à Edouard Philippe en mars a été éclipsée par la pandémie. Depuis le début de la crise sanitaire, sa cote de popularité ne cesse de grimper, alors que celle d'Emmanuel Macron continue à baisser.

Dimanche, le Premier ministre, fort de son aura toute neuve d'homme politique "qui sait parler aux Français", comptait 50% d'avis favorable dans les sondages, soit 12 points d'avance sur le président. "Il a des traits de caractère, un style, un calme, de l'humour, une barbe, qui le distinguent du jeune Bonaparte un peu agité que peut être Emmanuel Macron", énumère Pascal Perrineau. Ce succès l'accompagne désormais jusqu'au Havre où il est désormais donné vainqueur au soir du 28 juin.

Une telle victoire compliquera la tâche d'Emmanuel Macron qui se trouverait confronté à un choix cornélien: soit il garde son astucieux Premier ministre, bénéficie de sa gloire et accepte ses conditions, soit il s'en sépare au risque de déplaire encore plus aux Français et de perdre une partie de son électorat de droite. Si tel est le choix présidentiel, Edouard Philippe aurait beau jeu de quitter Matignon, auréolé de sa victoire, pour retourner droit dans ses bottes vers son port d'attache quitté en 2017 pour servir la République en marche. Dans un cas comme dans l'autre, sa stratégie se révélera payante.

Juliette Galeazzi

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