Dans un rapport publié mercredi, l'entreprise américaine Lookout - une société spécialisée dans la protection des données - indique avoir découvert un vaste dispositif de traçage lié au pouvoir chinois.
Des malwares pour suivre la diaspora
Dès 2013, des logiciels malveillants capables d'activer un micro, une caméra, ou de lire des messages, ont été massivement déployés sur les téléphones portables des Ouïghours en toute discrétion.
Ces chevaux de Troie numériques étaient insérés dans des copies d'applications mobiles célèbres comme Twitter, Facebook ou de faux VPN - ces logiciels permettant de contourner la censure des autorités chinoises.
Installés également sur des apps populaires auprès des communautés turcophones du Xinjiang, ces mouchards ont permis de suivre à la trace les réfugiés fuyant la région et de surveiller les diasporas dans une quinzaine de pays.
Un contrôle des naissances dans la région
Ces révélations surviennent alors que les pressions internationales s'accroissent à l'encontre de Pékin suite aux révélations d'une étude de l'institut de recherche américain Jamestown Foundation qui divulguait une vaste campagne de stérilisation et de contrôle des naissances dans les communautés musulmanes du Xinjiang.
Cette recherche a suscité l'indignation, alors que la Chine est accusée par de nombreuses organisations internationales d'avoir enfermé plus d'un million de musulmans dans des camps.
Selon Jamestown Foundation, les autorités tentent de réduire le nombre de Ouïghours, de Kazakhs et autres membres des minorités musulmanes turcophones. Face à ce phénomène, plusieurs experts ont évoqué un génocide culturel.
"Un génocide sournois, lent et rampant"
"Ce n'est pas un massacre immédiat, sanglant ou choquant; mais c'est bien un génocide sournois, lent et rampant", résume Joanne Smith Finley, experte de la question ouïghour à l'université de Newcastle au Royaume-Uni, interrogée par l'agence de presse AP. Sur la base de documents officiels, de dizaines de témoignages de victimes et de celui d'un ancien gardien de camp, l'agence révèle l'ampleur du phénomène. Les autorités n'hésitent pas à imposer des avortements, des stérilisations forcées et des amendes salées en cas de grossesse multiples.
Les pratiques qui avaient cours pendant des décennies en Chine, mais qui avaient été abandonnées en 2015 avec la fin de la politique de l'enfant unique - continuent d'être appliquées drastiquement et de manière ethniquement ciblée au Xinjiang.
Menace d'internement en cas de grossesse
Alors que les minorités de la région sont soumises à d'intenses restrictions, les Hans (ethnie majoritaire en Chine) sont, eux, encouragés à avoir deux ou trois enfants. Les autorités multiplient en outre les tests de grossesse, brandissant la menace de l'internement en camp de rééducation en cas de résultat positif.
Le taux de natalité dans les régions à majorité ouïghoure de Hotan ou de Kashgar ont ainsi plongé de plus de 60% entre 2015 et 2018, date du dernier recensement officiel. Une étude d'Adrian Zenz, anthropologue allemand spécialiste du Xinjiang, met en lumière les centaines de millions de dollars consacrés par le gouvernement chinois au contrôle des naissances au Xinjiang.
"Diminuer la vitalité des populations"
Cette politique a fait basculer la situation en quelques années. Autrefois l'une des régions à la croissance démographique la plus forte du pays, la région autonome se distingue aujourd'hui par l'un des plus faibles taux de natalité au niveau national.
Selon le chercheur, l'objectif est simple: il s'agit de "diminuer la vitalité des populations locales afin de faciliter leur assimilation".
Condamnation de parlementaires étrangers
Face à ces conclusions, l'agence interparlementaire sur la Chine (groupe parlementaire international fraîchement constitué visant, selon ses propres termes, à "répondre au plus grand défi de politique étrangère de notre époque: la Chine") condamne ces pratiques.
Cette organisation, à laquelle ont notamment adhéré les élus suisses Fabian Molina (PS/ZH) et Yves Nidegger (UDC/GE), a promis de plaider à l'ONU en faveur d'une enquête internationale sur le traitement des Ouïghours et des minorités en Chine.
Michael Peuker/oang
La Chine longtemps adepte de la discrimination positive
Pendant des décennies, la Chine a eu l'un des systèmes de droits des minorités les plus étendus au monde, les Ouïghours et les autres groupes ethniques obtenant plus de points aux examens d'entrée à l'université, bénéficiant de quotas pour les postes gouvernementaux et de restrictions moins fortes sur le contrôle des naissances.
Dans le cadre de la politique de l'enfant unique, abandonnée par la Chine en 2015, les autorités encourageaient depuis longtemps et souvent de force, les contraceptifs, la stérilisation et l'avortement de Chinois Han. Mais les minorités avaient droit à deux enfants - trois s'ils venaient de la campagne.
Depuis l'accession au pouvoir de Xi Jinping, ces avantages ont disparu. En 2014, peu après la visite du président chinois dans le Xinjiang, le plus haut responsable de la région a déclaré qu'il était temps de mettre en œuvre des "politiques de planification familiale égalitaires" et de "réduire et stabiliser les taux de natalité".
Au cours des dernières années, les populations Hans n'ont cependant plus été directement ciblées par des campagnes de stérilisation forcée. La répression anti-nataliste semble donc désormais s'abattre de manière tout à fait spécifique sur les communautés musulmanes turcophones du Xinjiang.