Le monarque, qui règne depuis 2013, a choisi d'adresser une lettre au président de la République démocratique du Congo (RDC, ancien Congo belge) Félix Tshisekedi à l'occasion du 60e anniversaire de l'indépendance du Congo le 30 juin 1960.
Dans ce courrier communiqué à la presse, il évoque - sans nommer son ancêtre - l'époque du roi Léopold II, qui a été jugée la plus brutale par les historiens, quand le défunt souverain gérait le Congo et ses richesses comme son domaine privé depuis Bruxelles.
"Des actes qui pèsent sur notre mémoire collective"
"A l'époque de l'Etat indépendant du Congo (de 1885 à 1908 quand l'ex-roi céda le territoire à la Belgique, ndlr) des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective", écrit Philippe.
"La période coloniale qui a suivi (jusqu'en 1960) a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd'hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés", poursuit-il.
Le quotidien Le Soir a salué l'initiative royale dans un éditorial: "Enfin ce geste si nécessaire, qui grandit le Roi et son pays".
"Combattre toutes les formes de racisme"
Le roi Philippe assure qu'il continuera à "combattre toutes les formes de racisme", alors que la mobilisation au nom du mouvement "Black Lives Matter" a entraîné des manifestations dans le monde entier.
"J'encourage la réflexion qui est entamée par notre parlement afin que notre mémoire soit définitivement pacifiée", ajoute-t-il, en référence à une commission parlementaire chargée d'examiner la mémoire coloniale avec des experts belges et africains qui devrait voir le jour à la suite d'un accord entre groupes politiques.
En 2000-2001, une commission d'enquête parlementaire s'était penchée sur le contexte de l'assassinat en janvier 1961 de Patrice Lumumba, éphémère Premier ministre du Congo. Elle avait conclu à la "responsabilité morale" de "certains ministres et autres acteurs" belges.
La Première ministre au diapason
"L'heure est venue pour la Belgique d'entamer un parcours de vérité" à propos de son passé colonial au Congo, a affirmé de son côté la Première ministre belge Sophie Wilmès à Bruxelles.
"Tout travail de vérité et de mémoire passe d'abord par (le fait de) reconnaître la souffrance de l'autre" a ajouté la dirigeante libérale francophone, en saluant le geste du roi Philippe.
"Regrets" historiques salués par le président de la RDC
Le président de la République démocratique du Congo (RDC) et plusieurs responsables politiques et d'ONG ont salué mardi les "regrets" historiques du roi des Belges Philippe sur le passé colonial de son pays au Congo, certains demandant des réparations.
Avec des mots forts, le président congolais Félix Tshisekedi a rappelé qu'il considérait la Belgique, où il a vécu en exil, comme son "autre Congo", dans son allocution télévisée lundi soir à la veille du 60e anniversaire de l'indépendance du géant d'Afrique.
Le président Tshisekedi, 57 ans, a déclaré que le roi Philippe devait être son "invité spécial" si la pandémie de Covid-19 n'avait pas annulé toute cérémonie à Kinshasa.
Le chef de l'Etat congolais a rendu hommage au souverain belge "qui, tout comme moi, cherche à renforcer les liens entre nos deux pays sans renier notre passé commun mais dans l'objectif de préparer un avenir radieux et harmonieux".
Il juge à ce titre nécessaire "que notre histoire commune avec la Belgique" soit écrite "par des historiens des deux pays".
afp/oang
Le déclencheur George Floyd
La mort de l'Afro-Américain George Floyd, asphyxié fin mai par un policier blanc à Minneapolis aux Etats-Unis, a ravivé en Belgique le débat sur les violences de la période coloniale au Congo et sur la personnalité très controversée de Léopold II qui régna de 1865 à 1909.
De nombreuses statues représentant l'ancien souverain à la longue barbe ont été vandalisées, à Bruxelles et Anvers notamment.
Certaines universités et municipalités ont également décidé de retirer statues ou bustes, comme cela doit encore être le cas mardi dans un parc public à Gand.
Dans une pétition qui a recueilli plus de 80'000 signatures, le collectif de militants anticolonialistes "Réparons l'Histoire" a réclamé que "toutes les statues" en hommage à Léopold II soient retirées à Bruxelles, notamment la statue équestre la plus célèbre érigée face au palais royal.
Exactions documentées par les historiens
Via des sociétés concessionnaires, le roi Léopold II a recouru au travail forcé pour extraire notamment le caoutchouc au Congo. Des exactions - jusqu'aux mains coupées pour les travailleurs insuffisamment productifs - ont été documentées.
Selon la plupart des historiens, les violences n'ont pas cessé après 1908, et un régime de séparation stricte des Noirs et des Blancs, comparable à l'apartheid de l'Afrique du Sud, a été maintenu pendant des décennies.
"On a mis en évidence les fameux 'bienfaits de la civilisation' apportés par les Belges, mais entre les routes, les hôpitaux, les écoles, on sait que tout ce qui a été construit visait essentiellement à servir ce système d'extraction et de production de richesses pour les colons", relève Romain Landmeters, chercheur à l'université Saint-Louis à Bruxelles.