Un soir, sur la terrasse d'un ancien immeuble colonial de la ville de Rangoun, une quarantaine de Birmans – surtout des Birmanes – assistent à une représentation de la pièce féministe "Les Monologues du Vagin", une pièce adaptée en langue birmane.
Sur scène, une des comédiennes aborde le sujet des règles; des mots qui résonnent pour Khin, 27 ans: "Chez moi, nous n'étions que des femmes mais on n'avait pas le droit d'étendre nos sous-vêtements à côté des serviettes de bain par exemple, comme peuvent le faire les hommes. Les gens ont toutes ces idées reçues sur les règles, et à quel point c'est dégradant pour les femmes, que cela signifie que nous avons moins de pouvoir… Quand j'ai voulu utiliser des tampons, ma mère m'a dit: 'Mais est-ce que tu vas rester vierge si tu en utilises?'."
À l'origine de cette représentation et de la campagne "Les règles ne sont pas honteuses", une même jeune femme: Nandar, une Birmane de 25 ans.
Exclusion systématique
Elle aussi a été confrontée aux idées reçues sur les menstruations: elle n'avait pas le droit de se rendre au monastère, ni de toucher un homme – même de sa famille, pour ne pas le contaminer, lorsqu'elle vivait avec ses parents.
Un sentiment d'injustice qui l'a poussée à mettre sur pied cette campagne: "Cela amène à une exclusion systématique des femmes de toute possibilité de se développer en tant qu'être humain: cela leur retire leurs droits. J'ai toujours voulu en parler depuis que je me suis rendue compte que mes droits avaient été bafoués pendant des années".
Nandar voulait s'engager: "Pour les jeunes filles qui, comme moi, sont en colère, et n'ont pas d'espace pour en parler, puissent le faire". Depuis que la campagne a été lancée, beaucoup de personnes partagent avec elle leurs expériences à propos des règles, raconte-t-elle.
Des stratagèmes pour parler parler publiquement des règles
En Birmanie, faire accepter qu'il faut parler de ce genre de sujets reste difficile. Un des amis de la jeune activiste, un défenseur des droits de l'homme, a par exemple critiqué sa démarche: "Les règles, c'est comme la transpiration", a-t-il écrit sur Facebook, "cela ne mérite pas une campagne".
Alors les ONG usent de stratagèmes pour en parler publiquement: "En Birmanie, on doit trouver un point d'entrée, un titre qui soit plus poli que 'sexualité'," dit Htar Htar en riant. Cette femme est à la tête de l'association Akhaya Women.
"Si vous dites que la discussion va porter sur la sexualité, personne ne va venir. Alors on dit: 'Parlons des abus sexuels sur les enfants'. Là les gens commencent vraiment à écouter", explique Htar Htar. "Dans notre système, nos familles, il n'y a pas d'éducation sexuelle, jusqu'à aujourd'hui. Mais comme le sujet des abus sexuels sur les mineurs est un énorme problème en Birmanie, on commence à en parler. Et aussi de la question du consentement".
Davantage d'égalité femmes-hommes
Elle en est persuadée: changer les perceptions sur les menstruations est le premier pas pour arriver à davantage d'égalité femmes-hommes en Birmanie. Elle l'a observé pendant les formations données par son organisation: "Beaucoup d'hommes, après seulement un jour de formation sur le fonctionnement du corps féminin, disent vouloir aider leur femme, participer aux tâches de la maison. Pourtant, nous, nous n'avons pas évoqué la division du travail. On leur a juste parlé du corps féminin, mais cela suffit à changer leurs perceptions sur les femmes. Ils nous disent: 'Mais c'est injuste pour elles: on va faire quelque chose!'."
Toutefois d'autres attitudes restent difficiles à changer: le mot "vagin" n'existe pas en tant que tel en birman, par exemple.
Et la loi ne protège pas encore bien les femmes. Le Parlement birman examine en ce moment un projet de loi sur les violences faites aux femmes, mais selon les ONG qui ont travaillé dessus, certaines parties du texte posent problème, notamment sur la définition du viol.
Sarah Bakaloglou/sjaq