"N'ayez pas peur, la Syrie veut la liberté!". Ces slogans, qui résonnent depuis plusieurs semaines dans les rues de Sweida, font écho à ceux scandés au début de la révolution il y a 9 ans, lorsque des milliers de Syriens se soulevaient contre le régime de Bachar al-Assad. Ce mouvement avait alors conduit à la guerre civile, toujours en cours aujourd'hui.
A Sweida, comme en 2011, les derniers rassemblements n'ont duré que quelques minutes devant le siège du gouvernement de la villle. Trop dangereux de protester trop longtemps...
Âgé de 22 ans, Samy n'a pas manqué un seul rendez-vous depuis le 7 juin. "Les manifestations ont commencé avec un petit groupe de jeunes, mais rapidement, beaucoup d'habitants nous ont rejoints: des femmes, des hommes, des adolescents, des étudiants, des chômeurs, des docteurs, des ingénieurs…", explique ce jeune homme, qui après avoir quitté son pays pour étudier, est rentré à Sweida pour participer aux rassemblements
"Nous voulons vivre"
Les premiers appels à protester ont été lancés sur les réseaux sociaux fin mai, pour dénoncer la dégradation des conditions de vie, et réunis sous un même slogan "Nous voulons vivre", en référence à la situation économique qui s'est encore dégradée en Syrie après l'apparition du Covid-19.
"Nous n'en pouvons vraiment plus du régime de Bachar al-Assad, de sa famille et de son gouvernement. Le kilo de sucre et les cigarettes coûtent de plus en plus cher, et il n'y a plus de travail", déplore Mohamed, un habitant de Sweida.
Au mois de mai, de nombreux fermiers de la région de Sweida ont perdu l'intégralité de leur récolte dans des incendies, causant des pertes qui ont plongé des familles dans une immense précarité.
Communauté druze visée
Sweida est une ville à majorité druze. La Syrie compte aujourd'hui quelques 700'000 personnes appartenant à cette communauté religieuse musulmane, que le président Bachar al-Assad a toujours cherché à garder comme allié.
Parmi elles, Noura, qui incarne aussi l'une des figures féminines des dernières manifestations. "Le régime de Bachar al-Assad sait que la moindre violence d'un de ses soldats contre des manifestants druzes de Sweida risque de pousser toute la population de la ville à se révolter contre lui", prévient la jeune femme de 22 ans.
"Mais cette fois, on l'a vu, on a les preuves", poursuit-elle. "Lors d'une manifestation en juin, Bachar al-Assad a fait arrêter et frapper des manifestants, comme il l'a toujours fait dans d'autres villes. Pour lui, l'usage de la violence représente la seule solution pour tenter de mettre fin aux rassemblements", déplore Noura.
Manifestants roués de coup
Des vidéos datées du 15 juin font en effet état de manifestants roués de coup au sol par des hommes casqués, en tenue militaire, bâtons en bois à la main. Samy était présent ce jour-là. "Nous étions en train de manifester sur une place de Sweida. Quelques minutes seulement après le début de cette manifestation, les miliciens et des partisans de Bachar al-Assad sont arrivés", se remémore-t-il. "Ils nous ont encerclés et ont commencé à nous frapper violemment avec des matraques. Des manifestants ont aussi été arrêtés."
Ce jour-là, plusieurs manifestants ont effectivement été interpellés au hasard, tout comme les meneurs. Parmi eux se trouvait Raaed: "Ils n'ont pas pris que des gens au hasard: l'un des activistes les plus connus, qui est très souvent apparu dans les vidéos de manifestations, a été arrêté le 9 juin dans sa librairie, près de l'hôpital de Sweida. Des journalistes l'avaient filmé, donc ils ne l'ont pas arrêté au hasard. Au moment de l'arrêter, ils l'ont frappé pour faire peur aux gens qui étaient autour de lui."
11 personnes arrêtées
Au total, 11 personnes ont été arrêtées depuis le début des manifestations. Parmi elles, trois seulement ont été relâchées la semaine dernière. "Quant aux autres, leurs familles ne savent pas où ils se trouvent, avec des allégations qu'ils étaient mal traités et battus pendant leur détention", rapporte Donatella Rovera, chargée des situations de crise chez Amnesty International.
L'organisation non gouvernementale exige des autorités syriennes qu'elles "libèrent ces détenus immédiatement, et traduisent en justice les membres des forces de sécurité qui se sont rendus responsables des mauvais traitements sur les manifestants".
Vendredi dernier, il n'y a finalement pas eu de rassemblements à Sweida comme prévu. Les avocats de la ville devaient manifester mais ils préfèrent attendre pour le moment des nouvelles des Syriens arrêtés.
Sujet radio: Edith Bouvier, Céline Martelet et Hussam Hammoud
Adaptation web: Yoan Rithner