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Eric "Acquitator" Dupond-Moretti, un garde des Sceaux déjà critiqué

Le nouveau garde des Sceaux français Eric Dupond-Moretti veut garantir l'indépendance de la justice.
Le nouveau garde des Sceaux français Eric Dupond-Moretti veut garantir l'indépendance de la justice. / 19h30 / 2 min. / le 7 juillet 2020
L'arrivée inattendue du médiatique avocat Eric Dupond-Moretti au ministère français de la Justice a vivement fait réagir dans l'Hexagone. Le nouveau garde des Sceaux assure lui qu'il ne souhaite "faire la guerre à personne".

Plusieurs voix, issues du monde politique ou de la justice, ont vertement critiqué le choix du duo Macron-Castex de nommer Eric Dupond-Moretti garde des Sceaux (lire encadré).

Novice en politique, celui-ci est certes l'un des avocats les plus célèbres de France, mais il est aussi critiqué pour son franc parler, ses propos parfois provocateurs et pour le fait qu'il a défendu certaines personnalités controversées au nom du droit à la justice.

>> Lire aussi : Eric Dupond-Moretti à la Justice dans le nouveau gouvernement français

Lors de sa prise de fonction mardi, Eric Dupond-Moretti s'est affiché comme un ministre "du dialogue" qui ne mène "de guerre à personne". "Je veux avancer sur un projet qui me tient à coeur: l'indépendance de la justice. Je souhaite être le garde des Sceaux qui portera enfin lors d'un congrès la réforme du parquet tant attendue", a-t-il déclaré.

De violentes critiques durant le procès Merah

Orphelin de père dès sa petite enfance et fils d'une femme de ménage, Eric Dupond-Moretti s'est battu pour devenir avocat, enchaînant les petits boulots pour payer ses études. Il a fini par devenir un ténor du barreau, redouté par ses adversaires. L'homme de loi aujourd'hui âgé de 59 ans est en effet à l'origine de plus de 120 acquittements, ce qui lui a valu le surnom d'"Acquitator".

Dans la salle d'audience, Eric Dupond-Moretti rend coup pour coup à ses adversaires et il use de sa présence physique intimidante pour mettre sous pression certains témoins à charge de l'accusation.

Son nom apparaît dans de nombreux grands procès de ces dernières années. En 2017, c'est sa défense du frère de Mohamed Merah, auteur de sanglants attentats dans le sud-ouest de la France en 2012, Abdelkader, qui avait déchaîné les passions. "C'est le procès le plus difficile de ma carrière. J'en ai pris plein la gueule, j'ai été insulté. On a dit que j'étais la honte de la profession, on a menacé mes enfants". Mais ça a été "pour moi un honneur" de le défendre, avait-il alors dit.

Tapie, Kerviel, Cahuzac, Balkany...

Quand on lui demande comment il peut défendre des assassins, Eric Dupond-Moretti explique ne pas être là pour la morale mais pour le droit. Il a aussi affirmé qu'il aurait pu défendre "l'homme Hitler" s'il le lui avait demandé, mais "à condition de ne pas justifier l'idéologie nazie".

Nous autres pénalistes, nous ne faisons pas de morale mais du droit.

Eric Dupont-Moretti

Durant sa carrière, l'avocat a aussi défendu entre autres l'homme d'affaires Bernard Tapie, l'ancien trader Jérôme Kerviel, l'ex-ministre français du Budget Jérôme Cahuzac ou plus récemment Patrick Balkany, politicien français accusé de corruption. Il a aussi touché au football en défendant Karim Benzema.

En 2004, l'homme de loi avait aussi défendu celle qui était surnommée "la boulangère" lors du premier procès d'Outreau, une sordide affaire d'abus sexuels sur mineurs dans le nord de la France. Accusée de viols, sa cliente avait finalement été acquittée.

>> Revoir l'interview d'Eric Dupond-Moretti dans Pardonnez-moi :

Eric Dupond-Moretti
Eric Dupond-Moretti / Pardonnez-moi / 29 min. / le 2 juillet 2020

Choc dans la magistrature

Si la nomination d'Eric Dupond-Moretti a été bien accueillie par les avocats, elle a en revanche fait l'effet d'un choc chez les magistrats. "Nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c'est une déclaration de guerre à la magistrature", a déclaré Céline Parisot, présidente de l'USM, syndicat majoritaire chez les magistrats.

Fin juin, l'avocat s'était emporté, avec sa verve habituelle contre le parquet national financier, qui a épluché ses factures téléphoniques détaillées, comme celles de plusieurs autres avocats, dans une enquête liée à l'ancien président Nicolas Sarkozy (2007-2012). "Des méthodes de barbouzes", avait-il tonné.

Et si vous étiez garde des Sceaux, que feriez-vous?, était-il alors interrogé sur la chaîne LCI. "D'abord il faut qu'on sépare le siège du parquet", à savoir les juges et les procureurs. "Pour moi, c'est impératif. Je fais le ménage là-dedans de façon très très très claire", répondait l'avocat. Et de poursuivre: "Je fais un système de responsabilité des juges, parce que les juges ne sont pas responsables de ce qu'ils font aujourd'hui. Ce sont les seuls dans notre société à ne pas être responsables."

boi avec afp

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Colère contre la nomination de Darmanin et Dupond-Moretti

La sénatrice socialiste Laurence Rossignol a dénoncé mardi la "formidable claque qu'Emmanuel Macron lance au visage de toutes celles et ceux qui se sont mobilisés contre les violences sexuelles" avec les nominations de Gérald Darmanin à l'Intérieur et Eric Dupond-Moretti à la Justice.

L'ancienne ministre des Droits des femmes s'est dite "perplexe" sur franceinfo sur leur "capacité" à "faire de la lutte contre les violences sexuelles une de leurs priorités", alors qu'"aucun de ces deux hommes n'a manifesté jusqu'à présent le moindre intérêt pour ces sujets".

Le collectif Osez le féminisme! a de son côté lancé une pétition pour réclamer leur démission. "Bâtissez votre carrière sur l'acquittement des hommes accusés de viol, vous serez ministre de la Justice! (...) Soyez accusé de viol, vous serez premier flic de France!", a fustigé dans un communiqué le collectif, pour qui ces nominations "démasquent le masculinisme de la classe politique dirigeante et le mépris envers la parole des victimes et les droits des femmes".

A Paris, une vingtaine de militantes féministes se sont rassemblées mardi non loin du ministère de l'Intérieur, scandant "Darmanin démission" et "Darmanin violeur" pendant la passation de pouvoir entre Christophe Castaner et Gérald Darmanin. Une femme accuse le nouveau ministre de l'Intérieur de l'avoir violée en 2009 et celui-ci a confirmé avoir eu une relation sexuelle avec elle, mais, selon lui, librement consentie.

L'analyse de Marc Bonnant

Réagissant mardi dans Forum, un autre avocat pénaliste au verbe haut, Marc Bonnant a estimé que le choix effectué par le président Macron et son Premier ministre de nommer Eric Dupond-Moretti était "très inspiré": "C'est une immense figure, une intelligence remarquable, un talent inouï et surtout une grande intégrité intellectuelle."

Pour Marc Bonnant, le nouveau ministre de la Justice "fera merveille, quitte à déplaire beaucoup". Le fait que ses relations avec la magistrature ne soient pas bonnes n'inquiète pas l'avocat genevois, qui pense qu'Eric Dupond-Moretti "écoutera les magistrats, leurs inspirations et leurs désirs, et tout se fera dans un dialogue harmonieux qui n'exclut pas la force". "La première chose qui frappe quand on le voit, ce sont son corps et sa voix, qui forment son autorité."