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Ces travailleurs expatriés piégés à l'étranger à cause de la pandémie

Ces employés expatriés piégés à l'étranger à cause de la pandémie. [Reuters - Jim Urquhart]
Ces employés expatriés piégés à l'étranger à cause de la pandémie / Tout un monde / 17 min. / le 9 juillet 2020
La crise sanitaire a provoqué des fermetures de frontières avec des conséquences parfois fâcheuses pour les travailleurs expatriés. S'ils sortent du pays dans lequel ils résident et que le frontières de celui-ci s'avère fermées, les expatriés ne peuvent plus y retourner. Exemples au Japon et aux Etats-Unis.

Le Japon, qui observe une recrudescence de cas depuis quelques jours mais dont la loi interdit le confinement obligatoire, a totalement fermé ses portes aux étrangers.

"Le gouvernement japonais applique une politique très stricte de refus d’atterrissage pour quelque 120 pays, dont la Suisse, la France, l’Italie, l’Allemagne, les Etats-Unis et la Chine", explique dans Tout un Monde Karyn Nishimura, journaliste française et correspondante au Japon.

Si cette mesure de restriction drastique du gouvernement nippon vise à prouver qu’il protège sa population, en bloquant l’arrivée du virus de l’extérieur, les travailleurs expatriés, eux, en font particulièrement les frais.

Patrons coincés, familles déchirées

Cette politique de refus d’entrée sur le territoire japonais s’applique en effet à des étrangers qui résident au Japon, mais qui en sont sortis temporairement. "Un patron français d’une petite entreprise au Japon par exemple, parti avant l’entrée en vigueur de ces mesures, est coincé en France depuis des mois. Sa société risque de couler", relate Karyn Nishimura.

Les autorités japonaises ont annoncé ce jeudi avoir enregistré 220 nouvelles contaminations au Covid-19 à Tokyo, un record. [AP Photo/Keystone - Eugene Hoshiko]
Les autorités japonaises ont annoncé ce jeudi avoir enregistré 220 nouvelles contaminations au Covid-19 à Tokyo, un record. [AP Photo/Keystone - Eugene Hoshiko]

Les familles expatriées au Japon sont également coincées, par crainte de ne pas être autorisées à revenir si elles quittent le pays. Certaines familles binationales sont quant à elles confrontées à des dilemmes déchirants. "Nous avons décidé que seules notre fille et moi partions, et que mon mari allait rester au Japon avec notre fils", témoigne cette Française, dont la fille doit rejoindre l'Hexagone pour poursuivre ses études. "C’est la première fois qu’on va être séparés de la sorte", confie-t-elle.

Traitement de faveur pour les Japonais

Les Japonais sont quant à eux autorisés à rentrer au pays, à condition de subir un test et de prendre différentes précautions durant deux semaines suivant leur retour.

Pourquoi ce traitement de faveux réservé aux nationaux? "D’un point de vue scientifique, les étrangers et les Japonais sont tous des êtres humains, donc le risque de contracter le virus en dehors du Japon est le même pour tous", admet Seiji Matano, directeur adjoint des services de l’immigration. "Mais la différence de traitement est une conséquence du fait qu’on ne peut légalement pas interdire le retour des Japonais dans leur pays", explique-t-il. Une discrimination assumée donc.

Rares exceptions

Suite à des protestations, les autorités ont aussi accordé des exceptions pour les étrangers, mais au cas par cas, notamment pour les résidents permanents ou assimilés, et qui étaient sortis du territoire avant que les restrictions soient appliquées dans le pays de provenance. "S’ils sont en revanche partis après, ou détiennent un autre statut, par exemple d'homme d’affaires, ils sont refusés", précise Karyn Nishimura.

S'il s'accompagne de preuves, un séjour pour visiter un parent agonisant, pour assister à des funérailles ou se rendre à une convocation du tribunal, peut aussi déboucher sur un droit de retour.

Toutes ces restrictions vont sans doute être assouplies au fur et à mesure que la situation s’améliore dans les différents pays, mais le ministre de la justice japonais n'a pas pour l'heure avancé aucune date précise.

Quitter les Etats-Unis équivaut à prendre un aller simple

"Si je rentre en Suisse, je suis bloqué en Suisse et ne peux plus retourner aux Etats-Unis. A moins que le gouvernement américain ne rouvre les frontières. Or, personne ne sait quand ce sera le cas", témoigne Raphaël Grand, correspondant aux Etats-Unis pour la RTS.

Actuellement, il est en effet impossible d’entrer sur le territoire américain à moins d'être un ressortissant ou un diplomate. Pas plus qu'un Américain ne peut se rendre en Europe. "L’inquiétude que survienne un décès ou une urgence, qui vous pousserait à rentrer au risque d’être bloqué en Europe, est grande", confie Raphaël Grand.

Quant aux frontières entre les cinquante Etats américains, elles sont elles aussi de plus en plus difficiles à franchir. "Des quarantaines sont parfois imposées quand vous voyagez d’un Etat à un autre", explique Raphaël Grand. "Un habitant de Floride ne peut par exemple plus se rendre à New York sans passer par une quarantaine de 14 jours, car la Floride est un point chaud du coronavirus."

La Floride est l'un des Etats américains les plus touchés par la pandémie. [NurPhoto/AFP - Paul Hennessy]
La Floride est l'un des Etats américains les plus touchés par la pandémie. [NurPhoto/AFP - Paul Hennessy]

Nombreuses inquiétudes pour les expatriés

Cette situation de pandémie inquiète les expatriés, qui ignorent par exemple si leur assurance couvre une hospitalisation en cas d'infection au Covid-19, alors que les frais de santé sont extrêmement élevés aux Etats-Unis.

"Certains expatriés sont aussi dans l’incertitude quant au renouvellement de leur visa. C'est le cas des étudiants, qui viennent d’apprendre qu’ils devront quitter le pays si leur cours à la rentrée sont donnés en ligne", poursuit Raphaël Grand. A cet égard, l'université d'Harvard a déjà annoncé qu'elle n'ouvrirait pas ses classes à la rentrée.

Inquiétude enfin pour les expatriés quant à la scolarisation de leurs enfants. "A Washington, les écoles n'ont pas rouvert depuis la mi-mars", indique Raphaël Grand. "Certains expatriés ont des contrats qui leur permettent d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées très chères. Quant aux écoles publiques, l'urgence de la situation les a poussées à nourrir les enfants au sein des familles les plus défavorisées, la cantine étant parfois le seul endroit où ils peuvent obtenir un vrai repas."

"Déni quasi complet de Donald Trump"

"Donald Trump est dans un déni quasi complet de la situation sanitaire", constate Raphaël Grand. "Il n'y a plus que l’élection présidentielle en fin d'année qui compte en ce moment. Ceci laisse supposer que la réouverture des frontières avec l’espace Schengen ne fait pas partie de ses priorités. Les expatriés risquent donc d’être encore coincés pour un moment".

En conséquence, "ceux qui ont de bonnes conditions restent", constate-t-il. Mais compte tenu des conditions actuelles, "les autres font le choix de rentrer pour ne simplement plus revenir…"

Sujet radio: Eric Guevara-Frey et Blandine Levite

Adaptation web: Yoan Rithner

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Expatriés, un statut qui fait moins rêver

L'image de l'expatrié vivant dans le luxe et bardé de privilèges, reflète de moins en moins la réalité du terrain. C'est du moins ce que constate le réseau d'expatriés "Internations", fort de 4 millions de membres et menant chaque année des sondages en la matière.

"Les expatriés sont encore soutenus par leurs entreprises, notamment par l'intermédiaire de remboursements de frais, de forfaits ou de services de relocalisation", explique Caroline Harsch, porte-parole d'Internations. "Mais dans le passé, ils avaient aussi souvent droit à un appartement ou même à un chauffeur payés par leur employeur, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui".

"A partir des années 2010, les entreprises investissent moins dans les contrats d'expatriation, confirme Laure Sandoz, auteure d'une thèse sur les migrations hautement qualifiées en Suisse, et membre du "NCCR on the move", un laboratoire de recherche sur les phénomènes de migration à Neuchâtel. "Les entreprises ont tendance à privilégier les contrats locaux et à laisser les individus s'organiser par eux-mêmes".

Nombre d'expatriés difficile à estimer

Aujourd'hui, les expatriés représenteraient environ 60 millions de personnes à travers le monde. Mais ces chiffres varient selon les différentes catégories de travailleurs prises en compte (individuels, détachés, étudiants, retraités, etc.)

Le réseau Internations estime que la pandémie pourrait avoir un effet moteur, citant l'exemple de l'Italie où toujours plus de jeunes professionnels cherchent à quitter le pays miné par la crise sanitaire pour trouver des opportunités ailleurs.