Eliminer la pauvreté pour renforcer sa légitimité et s’assurer le soutien populaire est un souci constant du parti communiste chinois. Sa survie dépend de la satisfaction des 1,4 milliard d'habitants du pays le plus peuplé au monde. Il est généralement très difficile de savoir ce que pensent réellement les Chinois de leur gouvernement. Une étude menée par l’université de Harvard et publiée il y a quelques jours a pourtant tenté d'y répondre. Ses résultats sont étonnants: les Chinois semblent dans l'ensemble satisfaits de leur gouvernement.
Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont sondé l’opinion publique entre 2003 et 2016 en réalisant plus de 30'000 interviews en face à face. Interrogé mercredi dans l'émission Tout un monde, le professeur Anthony Saich, directeur du centre Ash pour la gouvernance démocratique et l'innovation de la Harvard Kennedy School à Boston - l'un des auteurs de cette grande étude au long cours - est revenu sur sa méthodologie et ses conclusions.
RTSinfo: Cette étude a-t-elle été autorisée par le gouvernement chinois?
Anthony Saich: Les autorités chinoises étaient au courant de l'étude et ne s’y sont pas opposées. Nous avons travaillé avec nos collègues chinois pour rédiger le questionnaire, qui est principalement focalisé sur la satisfaction des citoyens quant au service public. Nous pensons que nous avons reçu des réponses assez franches à nos questions.
L'environnement semble être la préoccupation numéro un de la population?
Oui, et c'est quelque chose qui nous a surpris. Comme le gouvernement lui-même parle davantage des problèmes d’environnement et de la pollution, les citoyens se sentent plus à l’aise de s’en plaindre et d’exprimer leur mécontentement.
Il faut aussi dire que la plus grande satisfaction des citoyens porte sur les choses que le gouvernement a toujours bien maîtrisées: fournir l’eau et l’électricité, construire des routes et des ponts, soit tout ce qui a trait aux infrastructures collectives. En revanche, les résultats des réformes déplaisent aux citoyens. La dégradation de l’environnement en fait partie, de même que le système de santé, l’assurance-chômage et la recherche d’emploi. Ces éléments-là concernent surtout le foyer et l’individu.
La plus grande satisfaction des citoyens porte sur les choses que le gouvernement a toujours bien maîtrisées: fournir l’eau et l’électricité, construire des routes et des ponts, soit tout ce qui a trait aux infrastructures collectives
Il est étonnant de voir que même les Chinois des régions les plus pauvres sont satisfaits de leur gouvernement. Ont-ils de bonnes raisons de l’être?
Oui, ça correspond à la réalité. Le gouvernement a énormément investi pour restaurer l’assurance-maladie dans les campagnes, où ce système s’était effondré dans les années 90. On était passé d'une couverture de 90% de la population à 2 ou 3%. C’est maintenant remonté aux niveaux originels. Les habitants des campagnes bénéficient désormais aussi d’un soutien s’ils descendent en dessous d’un certain seuil de pauvreté.
On ne voit pas des niveaux de satisfaction écrasants, mais ils augmentent depuis qu'on a commencé le sondage en 2003. A l’époque, la satisfaction dans les villages était très basse, tout comme le niveau de confiance dans les gouvernements locaux. On voit maintenant que toujours plus d’habitants des campagnes pensent que les autorités locales travaillent pour eux, un changement significatif.
Même les Chinois peu ou pas satisfaits pensent que les choses évoluent dans la bonne direction. Un accomplissement dont beaucoup de gouvernements rêveraient?
Les chiffres montrent en effet un niveau de confiance assez élevé, même autour du Covid-19. Au début, beaucoup de Chinois étaient écoeurés par la manière dont le gouvernement central a géré la crise, mais au fur et à mesure de l’introduction de mesures draconiennes et de l'activation de la propagande qui disait à quel point les autres pays géraient mal la situation, la confiance dans le gouvernement est remontée en Chine. C'est remarquable!
Il faut tout de même préciser une chose: la satisfaction dépend aussi de l’endroit où vous vous trouvez. L'étude présente des chiffres agrégés au niveau national, mais si vous êtes un Ouïghour, un Tibétain ou un intellectuel critique du pouvoir, votre niveau de confiance dans le gouvernement sera très différent.
On dit toujours que le gouvernement chinois doit maîtriser le mécontentement populaire, faute de quoi le "volcan social" pourrait exploser. Votre étude tend à montrer que ce n'est en réalité pas vraiment le cas?
Si, je pense que c’est quand même le cas. Beaucoup de gens observent que les inégalités entre la Chine urbaine et rurale ou entre les régions côtières développées et l’intérieur du pays composent un cocktail explosif. Notre étude montre toutefois que le niveau de satisfaction augmente particulièrement chez les gens moins favorisés, ce qui veut dire qu'il n'y a pas de "volcan social" dans ces catégories.
Mais il est clair également que le gouvernement chinois a très bien réussi à circonscrire les manifestations. Il y en a tous les jours en Chine, que ce soit au sujet de l'environnement, des salaires impayés ou de la corruption. Mais ces mouvements sont très locaux. Quand ils se produisent, les citoyens attribuent plutôt ces problèmes à des abus commis par les autorités locales et non comme des problèmes liés au gouvernement central, ou comme un problème systémique.
Les citoyens attribuent les problèmes à des abus commis par les autorités locales, non comme des problèmes systémiques ou liés au gouvernement central
Le gouvernement chinois utilise-t-il lui-même des sondages? Est-il anxieux de savoir ce que pense la population?
Oui. A l'origine, les représentants du gouvernement chinois étaient très méfiants vis-à-vis des sondages d’opinion, qu'ils voyaient comme une menace potentielle, mais maintenant, je pense que les dirigeants les acceptent. Le gouvernement regarde attentivement leurs résultats et s'inquiète de ce que la population pense et des tendances. Il observe aussi si l’agitation augmente au sein de la société. Si c’est le cas, il prend rapidement des mesures et diabolise par exemple les dirigeants locaux qui seraient sortis de la ligne.
Pour la population, la situation est à double tranchant: si vous ne manifestez pas, vous n'obtenez rien. Si vous manifestez, vous risquez de déclencher une intervention des autorités au plus haut-niveau pour résoudre la situation. C’est un équilibre instable.
Votre sondage doit-il changer la manière dont les démocraties occidentales abordent la Chine?
Non, les gouvernements étrangers ne doivent pas nécessairement changer leur attitude vis-à-vis de la Chine sur la base de ce sondage. Les défis liés à la répression et à la liberté d’expression ne manquent pas! Ce que notre sondage montre, en revanche, c’est que ce gouvernement n'est pas près de s’effondrer pour des raisons intérieures. Si les pays étrangers pensent que le système chinois est actuellement très instable et susceptible d’imploser, et si cette idée dicte leur attitude vis-à-vis de la Chine, ils se trompent!
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Vincent Cherpillod