Soixante ans après la signature en 1948 de la déclaration, le
bilan donne "peu de raisons de se réjouir", a déclaré Irene Khan,
la secrétaire générale d'Amnesty International, en présentant le
rapport de l'organisation de défense des droits de l'homme publié
mercredi.
Torture dans 81 pays
"Amnesty ne sous-estime pas les progrès qui ont été accomplis
pendant ces 60 ans, mais nous pensons que ces importantes avancées
ne sont pas suffisantes", a-t-elle ajouté. La torture reste ainsi
pratiquée dans au moins 81 pays, les procès ne respectent pas les
normes d'équité dans au moins 54, il est impossible de s'exprimer
librement dans au moins 77.
Irene Khan voit cependant des raisons d'espérer dans l'influence
croissante de la société civile, dans l'apparition de nouvelles
puissances telles l'Inde, ou l'Afrique du Sud, et dans les
nouvelles générations de dirigeants aux Etats-Unis, en Russie, ou
encore à Cuba.
Pour Amnesty, il revient aux "puissants (de) donner le bon
exemple" pour que les principes fondamentaux de la déclaration de
1948 soient enfin respectés, en particulier là où l'urgence est la
plus pressante: au Darfour, au Zimbabwe, à Gaza, en Irak et en
Birmanie. "L'année 2008 fournit une occasion sans précédent pour
ces dirigeants de choisir une nouvelle direction", a poursuivi
Irene Khan.
USA violemment critiqués
Dressant un «triste bilan» de l'administration américaine,
Amnesty lance ainsi un appel au prochain président pour «rétablir
l'autorité morale des Etats-Unis»: fermer Guantanamo, bannir toute
torture, ne plus soutenir des régimes autoritaires.
«Les Etats-Unis sont la superpuissance mondiale qui détermine
aussi le comportement des autres Etats», affirme Irene Khan. «Le
monde a besoin que les Etats-Unis soient véritablement engagés dans
la défense des droits humains, chez eux comme à l'étranger»,
insiste-t-elle.
Or, le récent bilan de l'administration de George Bush n'est pas
brillant: les Etats-Unis refusent de considérer la simulation de
noyade comme de la torture, poursuivent les interrogatoires dans
les prisons secrètes de la CIA, et continuent de détenir des
centaines de prisonniers à Guantanamo (Cuba) et à Bagram
(Afghanistan) ainsi qu'en Irak.
La Chine doit évoluer grâce aux JO
Evoquant la Chine, Amnesty estime que Pékin se doit de fournir à
la Chine l'occasion d'évoluer à l'occasion de l'organisation en
août des jeux Olympiques, car son statut de puissance économique et
politique majeure ne lui permet plus de négliger les droits de
l'homme. Mais pour cela, "il sera important de continuer à exercer
une pression sur la Chine post-olympique et de poursuivre les
discussions avec elle", a averti Irene Khan. "Ce sera un véritable
défi, car elle ne sera plus au centre de l'actualité".
Le recours à la torture et les mauvais traitements infligés aux
détenus, la censure, les restrictions apportées à la liberté
d'expression et d'association, la répression des minorités restent
des pratiques courantes en Chine, selon le rapport. Pékin a aussi
tout à gagner à garantir la stabilité du Zimbabwe, de la Corée du
Nord, de la Birmanie ou du Darfour, où son action est sévèrement
jugée par les Occidentaux, a repris Mme Khan.
Birmanie et Kenya cités
Les moines bouddhistes à la tête du mouvement de protestation en
Birmanie, ou les juges contestant le président Pervez Musharraf au
Pakistan ont montré en 2007 que "le pouvoir du peuple et la
pression du peuple sont des forces réelles avec lesquelles il faut
compter", selon Mme Khan.
Mais ces événements, comme les émeutes post-électorales au Kenya,
ont aussi démontré "l'impuissance" des gouvernements occidentaux à
faire prévaloir les droits de l'homme, et les "positions
ambivalentes" des puissances émergentes à leur égard, regrette le
rapport.
L'Europe aussi critiquée
Les Etats européens sont eux montrés du doigt pour leur
"complicité" dans les transferts secrets par la CIA (Agence
centrale de renseignement américaine) de détenus soupçonnés de
terrorisme, et leur "manque de volonté politique" à établir la
vérité sur leur collaboration.
"L'Europe, si prompte à se présenter comme un modèle en matière de
droits de l'homme, continue de s'accommoder du gouffre qui sépare
les discours de la réalité, les normes de leur application et les
principes de la pratique", déplore Amnesty.
Enfin, la section italienne d'Amnesty International (AI) a dénoncé
mercredi «une vague de racisme» contre les immigrés en Italie, en
violation des «normes internationales sur les droits de
l'homme».
afp/ats/tac
La Suisse pas épargnée
Amnesty International (AI) déplore l'absence de mesures gouvernementales «efficaces» contre la montée du racisme et de la xénophobie en Suisse dans son rapport annuel.
L'organisation de défense des droits de l'homme pointe particulièrement du doigt l'UDC. AI se réfère aux conclusions du rapporteur de l'ONU sur le racisme Doudou Diène qui a enquêté en Suisse du 9 au 13 janvier 2006.
Dans son rapport, Doudou Diène conclut «que l'absence, au niveau national, de législation complète et de politique cohérente contre le racisme et la xénophobie constitue un obstacle majeur à l'efficacité du combat contre le racisme», relève Amnesty.
Le rapporteur de l'ONU demande au gouvernement suisse de s'opposer à toutes les plateformes politiques racistes et xénophobes et de les condamner.
A ce sujet, Amnesty pointe du doigt l'UDC et la campagne que le parti de Christoph Blocher a menée lors des élections fédérales de 2007. «De nombreuses personnes ont estimé» que la campagne conduite par ce parti «visait à promouvoir des idées racistes et discriminatoires», indique AI dans son chapitre consacré à la Suisse.
L'organisation revient en particulier sur les affiches sur lesquelles figuraient des moutons blancs dont un chassait d'une ruade un mouton noir hors du drapeau helvétique.
AI fait également état de «violations des droits humains commises» par la police et les forces de sécurité, sans citer toutefois d'exemples précis.
Concernant les requérants d'asile, AI déplore que de nombreuses personnes se sont vues refuser la possibilité de déposer une demande d'asile au motif qu'elles n'avaient pas de papiers d'identité, à la suite de l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives sur le droit d'asile adoptées en 2006.
L'organisation critique également le recours à des pistolets paralysants (les «tasers») et à des chiens policiers dans le cadre des renvois forcés d'étrangers.
Enfin Amnesty salue les nouvelles dispositions législatives améliorant la protection des victimes de violences domestiques.