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Le spectre d’une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan lors des funérailles du commandant Garush Hambardzumyan, tué lors de la récente escalade militaire. [Keystone/AP - Tigran Mehrabyan]
L’Arménie et l’Azerbaïdjan s’accusent mutuellement de provocation / Tout un monde / 6 min. / le 22 juillet 2020
De récents combats ont opposés les deux ex-Républiques soviétiques du Caucase, en froid depuis plus de trente ans. Erevan et Bakou se disputent le Haut-Karabagh, région sécessionniste en Azerbaïdjan, soutenue par l’Arménie. Cette escalade militaire, la plus grave depuis 2016, laisse craindre une déstabilisation de la région.
Une maison partiellement détruite par les combats à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. [Reuters - Hayk Baghdasaryan]
Une maison partiellement détruite par les combats à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. [Reuters - Hayk Baghdasaryan]

Les combats ont débuté le 12 juillet dernier dans le nord de la frontière entre Azerbaïdjan et Arménie à 300 kilomètres du territoire disputé du Haut Karabagh. Selon le bilan officiel, 17 personnes ont été tuées depuis, dont un général côté azéri. Les deux pays s'accusent mutuellement d'avoir provoqué la confrontation.

"A chaque fois qu’il y a une escalade de violence ou un incident sur la ligne de front, les deux camps s’accusent. C’est la norme dans ce conflit. Cela montre aussi qu’il n’y a pas de structure pour surveiller le cessez-le-feu, ni pour déterminer les responsabilités. C’est donc difficile de dire précisément que ça vient d’un côté ou de l’autre", explique Laurence Broers, directeur du programme Caucase au Conciliation ressources, une organisation de promotion de la paix basée à Londres.

"Je dirais que les deux camps ont développé une stratégie basée sur l’usage de la force, soit de manière dissuasive, soit de manière offensive. Dans un contexte sans surveillance, sans négociations ni dialogue constructif et où les puissances extérieures sont perçues comme indifférentes, on peut très facilement voir une escalade et un incident comme celui de la semaine dernière", ajoute le spécialiste dans l'émission Tout un Monde.

Court espoir

L'Arménie et l'Azerbaïjan sont en conflit depuis des décennies autour du Haut-Karabagh, théâtre d'une guerre au début des années 1990 ayant fait 30'000 morts.

L'agenda politique des deux pays a sans doute joué un rôle dans cette nouvelle escalade militaire. "On s’attendait à des progrès dans les pourparlers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis 2018 et la campagne de désobéissance civile qui a renversé le gouvernement arménien pour laisser la place à un gouvernement nettement plus démocratique. En janvier 2019, les deux ministres des Affaires étrangères se sont mis d’accord sur la nécessité de préparer leur population pour la paix. On y a vu un signe de mouvement dans le processus de paix", raconte Laurence Broers.

"En réalité, aucun des deux camps n’a investi dans une stratégie pacifique. Ce que nous avons plutôt vu ces derniers mois, ce sont des tensions exacerbées, des gestes symboliques et des incidents qui ont fait monter la tension", précise-t-il.

Aucun des deux camps n’a investi dans une stratégie pacifique

Laurence Broers, Conciliation ressources

Rhétorique guerrière

Le contexte s'est aussi tendu avec la crise du coronavirus, qui fragilise l'économie de l'Azerbaïdjan.

"On est dans un monde post-Covid où le prix du baril de pétrole a chuté. L'Azerbaïjan vit très mal cette situation car ce pays est fondé sur la rente pétrolière et gazière. Pour faire diversion, par rapport à son opinion qui est de plus en plus mécontente, le régime d'Ilham Aliev ressort la rhétorique guerrière anti-arménienne pour asseoir son autorité", analyse Gaïdz Minassian, expert au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris.

Des Azéris défilent dans les rues de Bakou lors d'une manifestation hostile à l'Arménie. [Keystone/AP - Aziz Karimov]
Des Azéris défilent dans les rues de Bakou lors d'une manifestation hostile à l'Arménie. [Keystone/AP - Aziz Karimov]

Cette rhétorique guerrière a infusé dans la population. Suite aux premiers affrontements, une manifestation a rassemblé 30'000 personnes le 14 juillet dans les rues de Bakou, capitale azérie. Ces manifestants proguerre réclamaient un conflit pour récupérer le Haut-Karabagh.

"C'est le résultat de 17 ans de propagande. Les autorités de Bakou ont instrumentalisé le conflit pour se donner une légitimité. C'est une dictature qui réprime les droits de l'homme, l'opposition, les journalistes. C'est aussi un régime très corrompu. Ils ne sont donc pas trop sérieux quand ils parlent de libérer les territoires perdus. Mais pour l'opinion qui pendant des années n'a rien entendu d'autre, l'attente était de voir des victoires sur le front", développe l'historien Vicken Cheterian.

Risque réel

Le risque d'escalade est réel dans ce conflit, selon Laurence Broers, mais pas forcément dans la zone où les heurts ont eu lieu, soit à 300 kilomètres du Haut-Karabagh. Le chercheur estime que le risque est présent, mais davantage autour de l'enclave arménienne en Azerbaïdjan.

Vicken Cheterian ne voit pour sa part pas de risque d'une escalade plus grave dans l'immédiat, mais plutôt un enseignement.

"Cela montre que la non-résolution des conflits dont nous avons hérité de la période de la fin de l'Union soviétique sont des menaces. La communauté internationale ne s’est jamais trop intéressée à cette région. Mais le prix à payer c'est de voir des éruptions de violences dans des moments où on ne les attend pas", analyse le spécialiste du Caucase.

Blandine Levite/gma

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Le rôle de la Russie

Ce "conflit gelé" dans le Caucase intéresse des puissances qui ont des intérêts géopolitiques dans la région. La Turquie soutient l'Azerbaïdjan.
La Russie a quant à elle une position un peu particulière. Le pays a des accords politiques économiques et militaire avec l'Arménie, mais aussi beaucoup d'influence sur l'Azerbaïdjan, qui lui achète jusqu'à 70% de ses équipements militaires, indique Vicken Cheterian.

Laurence Broers décrit lui aussi cette position d’arbitre russe. "L’objectif-clé de la Russie est d’entretenir le flou auprès des deux parties sur la façon dont elle pourrait réagir en cas de guerre à grande échelle. Cette incertitude a un effet dissuasif qui empêche les deux pays de s’engager dans un conflit plus important. On accuse souvent la Russie de jeter de l’huile sur le feu. Mais je pense que c’est la puissance qui a le moins intérêt à ce qu’il y ait une guerre car cela déclencherait la garantie de sécurité qu’elle offre à l’Arménie et la forcerait à choisir un camp", explique l'expert.

La Russie a proposé son aide en temps que médiateur dans ce conflit. Elle avait déjà joué ce rôle auparavant lors d'autres échauffourées entre Bakou et Erevan.