Des combattants étrangers sont sans cesse enrôlés dans ce conflit qui se joue à 300 kilomètres à peine des côtes européennes. Aujourd’hui, les deux blocs se font face, prêts à s’affronter à Syrte, ville méditerranéenne stratégique qui sépare l'est et l'ouest du pays.
Très vite après le début de l’offensive du maréchal Haftar sur la capitale Tripoli, il y a un peu plus d'une année, des habitants paniqués ont alerté la journaliste Maurine Mercier. Eux qui se préparaient à être envahis par les troupes de l'homme fort de l'est libyen, qu'il prétend être son "Armée nationale libyenne", doivent fuir en fait "des combattants étrangers, des Noirs", selon leurs propres mots.
Aussi des troupes d'élite privées russes
Il y a eu ensuite de premiers indices indiquant que des mercenaires russes - des troupes d'élite - se battraient aussi aux côtés du maréchal Haftar. Mais il est extrêmement difficile de démêler le vrai du faux, d’autant plus que la propagande - des deux côtés - est omniprésente.
Les premières confirmations sont venues de la ligne de front à Tripoli. La correspondante de RTSinfo a pu interroger de jeunes combattants sur place, qui se trouvent parfois à peine à 200 mètres de la ligne qui sépare les deux camps.
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"L’ennemi que je vois en face, sur ma ligne de front, il y a des Tchadiens, des Nigériens. Il y a aussi des Syriens. Je vois très peu de Libyens", assure-t-il discrètement en confirmant avoir vu aussi des Russes: "Oui, je les ai vus. Ils savent exactement dans quelle maison on se planque. Ils connaissent chacun de nos mouvements. Ils tirent vraiment bien".
Tout indique que ces Russes font partie du groupe Wagner, une société privée de mercenaires soupçonnée d’être très liée au Kremlin et à la défense de ses intérêts.
Après des mois d’enquête, Jalel Harchaoui, chercheur à l’institut Clingendael de la Haye aux Pays-Bas, parvient à poser des chiffres.
Des combattants utilisés "comme chair à canons"
Ce dont il est sûr, c'est qu'il y a plus de 3000 mercenaires soudanais parmi les combattants du maréchal Haftar. "Pour Tripoli, ils ont été utilisés comme chair à canon sur le front", précise-t-il. C’est très pratique pour le maréchal Haftar, parce que ça n’a pratiquement aucune conséquence politique".
Le chef de guerre n’a ainsi pas besoin d'expliquer à sa population que des Libyens sont morts au combat.
Jalel Harchaoui parle également de 800 à 900 Tchadiens et environ 2500 citoyens russes. "C’est une mission très importante", précise-t-il. "Elle a pour particularité qu’elle utilise des avions de chasse". Et il faut encore compter à peu près 1400 mercenaires syriens, recrutés dans les rangs pro-Hassad.
Si on fait les comptes, il y a au moins 8000 combattants étrangers avérés aux côtés de l'homme fort de l'est du pays, peut-être même bien plus en réalité.
Le pouvoir de Tripoli n'est pas en reste
Dans le camp adverse, le Gouvernement d'union libyen (GNA) soutenu par les Nations unies, les jeunes combattants sont sur la ligne de front à Tripoli depuis le début. Beaucoup sont morts, d’autres ont été mutilés.
Mais la donne a changé avec l'entrée en scène de la Turquie. Celle-ci a, elle aussi, engagé des mercenaires en masse. Mais ni le GNA ni Ankara ne veulent que cela se sache.
Le combattant qui témoigne a compris que ce conflit n’est plus une guerre de Libyens qui se battent pour la liberté, pour protéger le pays du maréchal Haftar - "un Kadhafi en pire", comme il dit.
On leur a imposé 8000 mercenaires syriens, payés entre 1000 et 2000 dollars par mois. Et il est tellement écœuré qu’il refuse de se taire.
"Accepter de mourir pour du fric, c'est merdique"
Il confirme - à un moment où cela n'est encore que suspecté à l'échelle internationale - que les Syriens sont bien là avec eux. "C’est leur grand secret, ils ne veulent pas que les médias l’apprennent", déplore-t-il. "Je suis tellement triste et fâché à la fois. Ces gens feraient n’importe quoi pour de l’argent, comment je pourrais leur faire confiance? "Franchement, accepter de mourir pour du fric, c’est tellement merdique".
A un kilomètre de sa position, il n’y a plus que des Syriens qui combattent pour le GNA, précise-t-il. "Nous, ici, on les a refusés. Mais sur d’autres positions, à Tripoli, ils ont dit 'oui, ok, ramenez-les. Haftar emploie bien des Russes, des Tchadiens, des Egyptiens, pourquoi on ne ferait pas pareil?' Moi, je ne leur fais pas confiance, aux Syriens".
Le point commun entre ces mercenaires des deux bords est que l’immense majorité d'entre eux sont là pour des raisons économiques, et non idéologiques. "C’est vraiment une logique commerciale pour pouvoir subvenir à ses besoins et manger ", note le chercheur à l’institut Clingendael.
Tromperie sur le job promis
"Il faut dire aussi que la communication est assez trompeuse", note-t-il au passage. "Souvent, le job promis à ces mercenaires relève plutôt de la surveillance d’atouts pétroliers. Et ce n'est qu'au dernier moment, une fois arrivés sur le sol libyen, qu’ils découvrent qu’ils vont aller au front".
Résultat: des Syriens, des Tchadiens ou des Soudanais s’entretuent des deux côtés sur territoire libyen. Lorsque l'Armée nationale libyenne a quitté les faubourgs de Tripoli pour battre en retraite, des combattants du GNA en contact avec la correspondante de RTSinfo ont accepté de filmer en direct, avec leur téléphone, leur progression dans les quartiers abandonnés par les hommes du maréchal. On découvre sur les images quantité de corps gisant sur le sol - pour la plupart des mercenaires soudanais dont les familles ne seront jamais averties.
La ligne de front s'est déplacée à Syrte
Et si le maréchal Haftar est aussi tributaire de mercenaires, c’est parce que les Libyens ne souhaitent pas aller se battre de son côté. Il manque à la fois de bras et de combattants professionnels, rodés - d'où l’engagement de Russes. Pour faire face à ce phénomène, les troupes du GNA se sont mises elles aussi à recruter.
Aujourd’hui, les combats ont cessé dans la capitale mais la guerre n’est de loin pas terminée. Désormais, les deux camps se font face, à Syrte, prêts à s'affronter.
Au total, il y a 16'000 mercenaires avérés pour l’heure en Libye mais le contingent de Syriens dans le camp Haftar ne fait qu’augmenter. Chaque semaine, un ou deux avions remplis de mercenaires syriens viennent renflouer les troupes du maréchal, confirme Jalel Harchaoui.
Maurine Mercier/oang