Des avions à réaction de la patrouille acrobatique de l'armée de l'Air lâchant des fumigènes aux couleurs du drapeau italien ont survolé le pont San Giorgio sur fond d'arc-en-ciel au moment où le Premier ministre Giuseppe Conte a coupé le ruban en fin d'après-midi, tandis que les sirènes du port de la ville hurlaient à tout vent.
"43 étoiles brilleront bien haut chaque soir", a déclaré G.Conte alors que s'allumaient des lumières placées en haut de piliers pour rendre hommage aux victimes dont les noms ont été lus à voix haute, mais en l'absence de leurs familles qui ont refusé de participer aux cérémonies. Elles se retrouveront dans dix jours pour marquer le deuxième anniversaire de la tragédie.
Renzo Piano, l'architecte génois en charge du chantier, a dessiné un grand vaisseau blanc volontairement minimaliste, par respect pour les victimes: "Il ne pourra pas faire oublier la tragédie et c'est un lourd héritage d'être fils d'une tragédie, car un pont n'a pas le droit de tomber. Pour le faire durer pour toujours, il doit être aimé, alors j'espère que mon pont sera aimé", a-t-il expliqué au 19h30.
Le 14 août 2018, le Pont Morandi s'effondre un jour de déluge, prenant la vie de 43 personnes. Depuis, la ville a vécu au rythme de la tragédie. Les restes du viaduc ont été détruits à la dynamite l'été dernier, et il a ensuite fallu seulement une année pour la reconstruction, du jamais vu en Italie.
"Un modèle pour l'Italie"
L'entrepreneur Pietro Salini estime que ce chantier est le modèle pour relancer le pays: "C'est cela le modèle de Gènes, avoir envie de faire les choses et les réaliser. C'est le seul moyen pour donner un élan à la réalisation des grands chantiers, imposer une approche culturelle différente."
Les proches des victimes attendent toutefois autre chose, comme explique Giovanna Donato, qui a perdu son ex-mari dans la catastrophe: "La justice est la seule chose qui pourra nous rendre un peu de paix. Notre douleur, personne ne l'effacera, mais on peut nous rendre la paix, oui."
Comme les autres parents des victimes, Giovanna a refusé d'assister à l'inauguration. "ll a été reconstruit sur les ruines d'un pont qui s'est écroulé à cause de négligences, à cause de personnes mesquines qui n'ont pas fait leur travail et qui ont gagné de l'argent au mépris de la vie de 43 personnes. Il ne peut pas devenir le pont de la renaissance."
"Il n'y a rien à célébrer"
Sous le viaduc, les immeubles ont été démolis, et beaucoup d'habitants sont partis. Antonio Lillo, le président du comité de quartier, reconnaît que retraverser le pont sera traumatisant. "Chaque fois que nous passerons, nous penserons à la tragédie, nous penserons aux 43 victimes et cela nous ne devrons jamais l'oublier. C'est vrai qu'il y a l'inauguration, mais honnêtement il n'y a rien à célébrer."
Pour certains le pont Saint George est le symbole d'une Italie gagnante, pour d'autre le souvenir d'un drame. Mais le traverser ne laissera plus jamais personne indifférent.
Valérie Dupont/asch