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Les explosions à Beyrouth sont la goutte qui fait déborder le vase, selon une experte

L'invitée de La Matinale (vidéo) - Myriam Benraad, politologue, auteure de "Géopolitique de la colère"
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Myriam Benraad, politologue, auteure de "Géopolitique de la colère" / La Matinale / 14 min. / le 6 août 2020
Les explosions survenues mardi à Beyrouth sont la goutte d'eau qui fait déborder le vase, estime la politologue Myriam Benraad. Car le Liban est déjà en état de récession depuis 2018, a-t-elle souligné jeudi dans La Matinale.

C'est une catastrophe qui intervient après une succession de contestations sociales qui ont dénoncé l'incapacité des autorités à prendre en main la situation, explique la chercheuse associée à l'Institut de recherches et d'études sur les mondes arabes et musulmans.

A ses yeux, le nouveau gouvernement formé à fin janvier n'a rien solutionné, bien au contraire: il y a eu un défaut de paiement, avec une explosion de la dette. "Le Liban s'est tourné vers le Fonds monétaire international, mais sans grand résultat jusque-là. Les négociations sont suspendues. Donc on est vraiment dans une situation d'impasse totale".

Un pays "au fond du gouffre"

La colère ne va donc faire que monter, prévoit Myriam Benraad. Car après les explosions, des centaines de milliers de personnes se retrouvent sans logement et sans rien. "On ne peut même plus dire que ce pays est au bord de la faillite, il est vraiment au fond du gouffre".

Après ce drame de Beyrouth, toutefois, les Libanais sont plutôt dans un état de sidération que de colère, explique Myriam Benraad. Dans ce contexte, elle ne voit donc pas comment des manifestations de grande ampleur pourraient éclater maintenant à Beyrouth. Pour le moment, les habitants vont gérer l'urgence. "Mais la colère et le ressentiment s'accumulent et vont, d'une manière ou d'une autre, de toute façon s'exprimer ultérieurement".

Crise sociale, impéritie, corruption

La chercheuse rappelle aussi la crise sociale qui a éclaté l'année passée, avec des contestations pour dénoncer l'impéritie et la corruption des élites. "Au Liban, à cause de la corruption, des milliards de dollars manquent aux comptes publics, sur fond de défaut de paiement".

Les protestataires avaient alors appelé à la fin de ce système confessionnaliste et communautariste, que les jeunes estiment ne pas être représentatif et qui, surtout, ne répond pas aux questionnements du quotidien des Libanais. "Il y a une vraie déconnexion entre ce que les gens attendent concrètement en termes de services, de bien-être, de réformes et ce que ces gouvernements successifs très vacillants sont capables de proposer", relève la politologue.

Myriam Benraad n'hésite pas non plus à parler d'une crise humanitaire, qui était déjà plus ou moins présente avec l'afflux de réfugiés syriens. "On en parle moins, mais ça a été un fardeau très important pour les Libanais, qui eux-mêmes déjà se trouvaient dans une situation d'extrême fragilité". Cette situation a créé des tensions supplémentaires, comme dans d'autres pays voisins.

Des jeunes sans perspectives

Tous ces éléments combinés font que l'on a un peuple libanais, et surtout des jeunes, qui ne voient pas le bout du tunnel et qui veulent, du moins pour certains, quitter aujourd'hui le Liban, analyse la politologue. "Ils ne voient absolument aucun horizon, aucune perspective à court ou moyen terme".

Et Myriam Benraad n'entrevoit pas l'avenir en rose: "Le Liban ne va pas sortir de la crise l'année prochaine. J'irais même jusqu'à dire dans la prochaine décennie".

>> Ecouter le papier d'analyse dans La Matinale:

Interview radio: Benjamin Luis

Adaptation web: Jean-Philippe Rutz 

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