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Comment un composant à risque est resté 6 ans dans le port de Beyrouth

Beyrouth, une épave oubliée cause de la tragédie, recherche des responsabilités.
Beyrouth, une épave oubliée cause de la tragédie, recherche des responsabilités. / 19h30 / 1 min. / le 6 août 2020
Une enquête est en cours pour comprendre comment pendant six ans, près de 3000 tonnes de nitrate d'ammonium, un composant à risque, sont restées stockées dans un entrepôt lézardé du port de Beyrouth, en dépit des multiples avertissements et des odeurs qui en émanaient.

Les autorités du port, les services des douanes et des services de sécurité étaient tous au courant que des matières chimiques dangereuses étaient entreposées au port mais se sont rejeté mutuellement la responsabilité du dossier, ont indiqué des sources de sécurité.

Invité sur la radio française Europe 1, le chef de la diplomatie libanaise Charbel Wehbé a fait état jeudi de la création d'une commission d'enquête "qui a quatre jours pour donner un rapport détaillé sur les responsabilités". "Il y aura des décisions judiciaires", a-t-il dit.

Mercredi, le gouvernement a réclamé l'assignation à résidence des personnes responsables de ce stockage. C'est un incendie dans le hangar où était stockées les tonnes de nitrate qui a provoqué les explosions ayant dévasté le port, des quartiers entiers de la capitale et fait au moins 137 morts et 5000 blessés.

Une cargaison arrivée en 2013

En 2013, le Rhosus, battant pavillon moldave et venant de Géorgie, a fait escale à Beyrouth, en route pour le Mozambique, selon une source de sécurité. Avec à son bord 2750 tonnes de nitrate d'ammonium.

Selon le site Marine Traffic, le bateau est arrivé le 20 novembre 2013 à Beyrouth et est resté là.

Pourquoi la cargaison a-t-elle été déchargée à Beyrouth? D'après des sources sécuritaires libanaises, alors que le Rhosus était en transit à Beyrouth, une firme libanaise aurait porté plainte contre la compagnie à laquelle le bateau appartenait, poussant la justice locale à saisir l'embarcation.

La cargaison a été placée dans le hangar numéro 12, consacré aux marchandises saisies. Quant au bateau, endommagé, il a fini par couler.

Plaintes en 2019

En juin 2019, la sûreté de l'Etat, un des plus hauts organismes de sécurité au Liban, a lancé une enquête sur cette cargaison, après des plaintes répétées sur des odeurs nauséabondes qui émanaient du hangar.

Dans son rapport, elle a signalé que l'entrepôt contenait "des matières dangereuses qu'il est nécessaire de déplacer". Elle a aussi indiqué que les parois de l'entrepôt étaient lézardées, ce qui rendait un vol possible, et recommandé qu'il soit réparé.

La direction du port, qui était au courant du caractère dangereux des produits, a finalement envoyé des ouvriers colmater les fissures de l'entrepôt. Ces travaux, selon les sources de sécurité, auraient été à l'origine du drame, selon les autorités.

afp/lan

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Une production de masse

Le nitrate d'ammonium est produit en masse: plus de 20 millions de tonnes par an, soit l'équivalent chaque jour de 20 fois la quantité (2700 tonnes) qui a explosé à Beyrouth. Les stockages de plusieurs centaines et même de milliers de tonnes sont donc fréquents à travers le monde, et un seul exploitant agricole peut en utiliser plusieurs tonnes par an, selon des experts.

Selon le cabinet spécialisé IHS, un peu plus des trois quarts environ sont destinés à l'agriculture - riche en azote, le produit favorise la croissance des plantes - et le reste pour les explosifs, notamment dans le secteur minier et des travaux publics, avec une concentration plus élevée et donc plus dangereuse.

Les industriels soulignent que le risque est minime quand les consignes de sécurité sont respectées, et qu'une température élevée - d'un peu moins de 200 degrés - est nécessaire pour le brûler.

"Insensible aux chocs et aux frottements, le nitrate d'ammonium est un explosif médiocre sauf s'il est mélangé à des combustibles comme des hydrocarbures, ou s'il est fondu et confiné lors, par exemple, d'un incendie violent", résume la Société chimique de France.