Jusqu'aux années 1960, l'issue des conventions étaient imprévisibles et ces rassemblements se transformaient bien souvent en bras de fer entre les différentes factions des partis, que ce soit démocrate ou républicain, pour amadouer - voire acheter - les voix des délégués qui n'étaient pour la plupart pas désignés par les électeurs. Résultat? En 1924, il fallut 103 tours de scrutin pour qu'un candidat soit désigné à la convention démocrate!
L'ambiance a bien changé depuis. Avec l'avènement des primaires modernes, qui permettent à la base des partis de s'exprimer, les conventions ont eu moins d'impact car on sait que l'investiture a déjà été scellée par l'un des candidats. Ces rendez-vous sont devenus "une campagne de publicité pour le parti et l'unité du parti avec beaucoup de ballons et de discours", observe l'historienne Doris Kearns Goodwin, citée en 2016 par l'AFP. Ces réunions n'en demeurent pas moins des moments d'une importance capitale pour le monde politique américain, et pas seulement pour les candidats eux-mêmes.
Un tremplin politique pour Obama
En 2004, la convention démocrate servira de tremplin à Barack Obama. Alors jeune candidat noir au Sénat, inconnu du grand public, il acquiert une notoriété immédiate avec son discours de soutien au candidat John Kerry.
"Je me tiens ici aujourd'hui, reconnaissant de la diversité de mon héritage, conscient que les rêves de mes parents se perpétuent chez mes deux précieuses filles. Je suis ici en sachant que mon histoire fait partie de l'histoire américaine plus large, que je suis redevable à tous ceux qui m'ont précédé, et que dans aucun autre pays sur Terre mon histoire n'est même possible", déclare-t-il, alors tout juste âgé de 43 ans.
Il n'y a pas d'Amérique libérale et d'Amérique conservatrice, il y a les États-Unis d'Amérique. Il n'y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche et une Amérique latine et une Amérique asiatique, il y a les États-Unis d'Amérique.
Son discours d'une intensité rare marquera tellement les esprits que, quatre ans plus tard, Barack Obama sera lui-même investi au nez et à la barbe de la favorite Hillary Clinton, porté par son slogan à l'écho mondial "Yes we can" et devenant ensuite le 44e président des Etats-Unis.
Les adieux de Ronald Reagan
Si elles permettent de lancer des carrières, les conventions permettent aussi aux ténors de la politique américaine de faire leurs adieux En 1988, Ronald Reagan, arrivé au terme de huit ans de présidence, livre ainsi un discours émouvant pour remercier les Américains de leur confiance. "Il reste encore beaucoup de broussailles à nettoyer au ranch, des clôtures à réparer et des chevaux à monter", a-t-il déclaré, non sans appuyer la candidature de son dauphin, George H. W. Bush. En 1994, des médecins lui diagnostiquent la maladie d'Alzheimer.
Des moments clés pour les candidats
Au-delà des discours de soutien, les discours formels d'investiture, prononcé traditionnellement le dernier jour de la convention à une heure de grande écoute aux Etats-Unis s'avèrent bien souvent déterminants pour les candidat-es. En 1968, Richard Nixon parvient par exemple à créer l'image d'un nouveau Nixon, plus modéré et plus maître de soi.
En 1992, c'est le démocrate Bill Clinton qui se démarque avec la projection du film biographique "The Man from Hope" lors de son investiture. Ce court-métrage qui le présente avec un visage très humain aura un impact durable sur l'image de cet homme "si sympathique" qui accédera quelques mois plus tard à la Maison Blanche. Une façon habile, aussi, de faire oublier le raté de 1988 où il avait fait un bide total avec un discours qualifié d'"interminable" lors de la convention démocrate à Atlanta.
Des coups de gueule et des rires
Dans l'histoire américaine, les conventions ont aussi été le théâtre de règlements de compte mémorables. En 1980, Robert (Ted) Kennedy snobe le président en place Jimmy Carter après avoir tenté de le renverser pendant la primaire. Leur combat fratricide se poursuivra jusque dans la salle de Congrès et, si Kennedy échoua à détrôner son rival, son discours empreint d'émotion et dans lequel il refusa de jouer la carte de l'unité au sein du parti, contribua de plusieurs avis à la non-réélection de Jimmy Carter qui s'inclina face à Ronald Reagan.
Quatre ans plus tard, c'est Mario Cuomo -le père de l'actuel gouverneur de New York- qui se distingue à la convention démocrate lorsqu'il réprimande le président Reagan, républicain. "Il y a dix jours, le président Reagan a admis que si certaines personnes dans ce pays semblaient bien aller de nos jours, d'autres étaient malheureuses, voire inquiètes, pour elles-mêmes, leurs familles et leur avenir. Le président a dit qu'il ne comprenait pas cette peur. Il a dit: 'Eh bien, ce pays est une ville brillante sur une colline'" Et le président a raison. À bien des égards, nous sommes une ville brillante sur une colline. Mais la dure vérité est que tout le monde ne partage pas la splendeur et la gloire de cette ville", a-t-il insisté dans un discours qui fit sa notoriété.
J'étais juste une mère de la classe moyenne qui emmène ses enfants au hockey (...) vous savez la différence entre ces mères et un pitbull? Le rouge à lèvres
Cette même année 1984, Géraldine Ferraro monte sur scène pour accepter sa nomination à la vice-présidence du candidat démocrate Walter Mondale. Elle devient ainsi la première femme à figurer sur un ticket de parti. Il faudra 24 ans pour qu'une autre femme accède à nouveau à cette place pour prononcer un discours qui la fera connaître à la Terre entière. Ce sera en 2008 lorsque John McCain choisit à la surprise générale Sarah Palin, alors gouverneure de l'Alaska, comme colistière.
De la politique spectacle
Véritables shows politiques avec flonflons et paillettes, les conventions tournent de plus en plus au spectacle à la hollywoodienne, spectacle dans lequel est généralement célébré la grandeur américaine et l'unité du parti. Le paroxysme de la politique spectacle a peut-être été atteint en 2012, lorsque l'acteur et réalisateur Clint Eastwood a créé l'événement à la convention républicaine, en attaquant Barack Obama.
Vous devenez aussi mauvais que Biden
Face à une chaise vide sur scène, sensée symboliser le président en exercice, il qualifie le chômage de "honte nationale" et accuse l'administration de ne pas en faire assez pour changer la situation.
Cette année, les conventions qui doivent confirmer les candidatures de Joe Biden, côté démocrate, et de Donald Trump chez les républicains, ont dû se réinventer, crise sanitaire oblige. Mais gageons que les discours -majoritairement prononcés en ligne- n'en seront pas moins fleuris.
Juliette Galeazzi