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Des survivants "marqués à jamais" par la tuerie de Charlie Hebdo

La dessinatrice Coco à son arrivée à l'audience. [Keystone/EPA - Ian Langsdon]
Le suivi du procès Charlie Hebdo à Paris par notre correspondant, Alexandre Habay / La Matinale / 1 min. / le 9 septembre 2020
"J'ai pensé mourir exécutée": au procès des attentats de janvier 2015, la cour d'assises spéciale de Paris a replongé mardi dans la "barbarie" avec les premiers témoignages des survivants de la tuerie de Charlie Hebdo, "marqués à jamais" par le drame.

"C'était l'effroi en moi. C'était la détresse, je n'arrivais plus à réfléchir": les mains jointes sur le pupitre, Corinne Rey, alias Coco, cherche ses mots en agitant les doigts, la gorge nouée par l'émotion.

Sous la menace d'une kalachnikov, c'est elle qui a composé le code de la porte d'entrée, permettant aux frères Chérif et Saïd Kouachi de pénétrer au sein de la rédaction et de commettre leur carnage, le 7 janvier 2015.

"On veut Charlie, on veut Charb"

"Je savais que c'était une kalachnikov", confie la dessinatrice de l'hebdomadaire, en racontant sa longue "ascension dans l'escalier" jusqu'à l'entrée dans les locaux de Charlie Hebdo, avec les frères Kouachi "armés jusqu'aux dents".

"Ils m'ont dit: 'on veut Charlie, on veut Charb'. J'étais dévastée, comme dépossédée de moi, je n'arrivais plus à rien. J'ai avancé vers le code et je l'ai tapé (...). Je sentais que les terroristes approchaient de leur but, je sentais une excitation à côté de moi", raconte Coco.

"Après les tirs, un silence de mort"

Dès l'entrée dans les bureaux, les terroristes tirent sur Simon Fieschi, webmaster de l'hebdomadaire. L'aîné, Saïd, monte la garde dans l'entrée, quand le cadet, Chérif, se rue vers la salle de réunion. Corinne Rey court, elle, se cacher sous un bureau.

"Je tremblais, on entendait les tirs", explique la dessinatrice, comme tétanisée. "Après les tirs, il y a eu le silence, un silence de mort (...). J'avais l'impression qu'ils allaient finir le travail avec tous ceux qu'ils n'avaient pas eu dans la salle" de rédaction.

"C'est le talent qu'on a tué ce jour-là"

La découverte du massacre et des 10 morts, après le départ des frères Kouachi, est une vision d'"horreur". "J'ai vu les jambes de Cabu. Wolinski ne bougeait plus. J'ai vu Charb: le côté de son visage était d'une pâleur extrême. Riss était blessé, il m'a dit: 't'inquiète pas Coco'", relate-t-elle.

Sur les bancs de la salle d'audience comme dans les box vitrés où se trouvent une partie des 14 accusés, jugés pour leur soutien aux frères Kouachi et à Amédy Coulibaly, tueur de l'Hyper Cacher, un lourd silence s'est abattu. Corinne Rey, en larmes, reprend son souffle.

"C'est le talent qu'on a tué ce jour-là, c'étaient des modèles pour moi. C'étaient des gens d'une extrême gentillesse qui avaient une manière d'être drôles ... C'est pas facile d'être drôles, mais ils y arrivaient très bien", lance-t-elle.

Des souvenirs "terribles"

Cinq ans et demi après la tuerie, la dessinatrice, qui a fêté récemment ses 38 ans, explique se battre encore avec les souvenirs "terribles" de l'attaque qui "tournent énormément" dans sa tête et qu'elle s'efforce d'exorciser, en continuant à dessiner pour Charlie Hebdo.

"Je me suis sentie impuissante. C'est l'impuissance qui est le plus dur à porter dans ce qui s'est passé. Et je me suis sentie coupable", livre-t-elle, expliquant avoir parfois eu l'impression de "ramener un monstre à la maison".

"J'ai mis du temps à comprendre que ce n'est pas moi la coupable là-dedans. Les seuls coupables ce sont les terroristes islamistes. Les Kouachi et ceux qui les ont aidés", lâche Corinne Rey.

afp/ebz

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L'attentat, une "cicatrice" qui "fait mal"

Les symptômes post-traumatiques ont été décrits par plusieurs témoins, menacés par les frères Kouachi.

"L'attentat, c'est comme une cicatrice. Je la vois tous les jours et si je commence à la gratter, elle me fait mal", a raconté une secrétaire mise en joue par les assaillants, licenciée par son entreprise après plusieurs arrêts maladie et aujourd'hui encore "sous anti-dépresseurs".

"On a entendu les uns après les autres se faire tuer. C'était terrible, on ne pouvait rien faire", se souvient l'une de ses collègues qui a dit se sentir "honteuse d'être malade, d'être mal, par rapport aux vraies victimes".