"Au fond ce qu'on veut, c'est pouvoir dessiner ce qu'on veut, sans subir quoi que ce soit", résume le directeur de l'hebdomadaire Riss, Laurent Sourisseau de son vrai nom, devant la cour d'assises spéciale de Paris.
Cinq ans après la tuerie du 7 janvier 2015 qui a décimé la rédaction et grièvement blessé plusieurs de ses membres, la douleur physique demeure et la souffrance psychologique est omniprésente pour ces "survivants". Mais les caricaturistes et journalistes du journal assurent n'avoir rien renié de ce qu'est "l'esprit Charlie".
"On vit pour être libre ou on vit pour être un esclave? Moi je veux vivre libre et pas soumis à l'arbitraire démentiel des fanatiques", déclare Riss d'une voix neutre.
"On s'est relevé"
Blessé à l'épaule droite après avoir reçu une balle de kalachnikov, il a lutté pour retrouver l'usage de son bras et continuer à dessiner. Depuis les attentats, il est suivi en permanence par un garde du corps, comme d'autres figures du journal.
L'attaque, qui a fait dix morts dans les locaux de Charlie Hebdo, l'a "stupéfait par la violence" mais aussi par le fait qu'elle "arrive à ce moment-là", le climat n'étant pas alors celui de "la menace permanente" selon lui. Le journal était devenu la cible des djihadistes en publiant en 2006 les caricatures de Mahomet, le "mobile du crime" pour l'avocat historique de Charlie Hebdo, Richard Malka.
Depuis 2013, son directeur de la rédaction, le dessinateur Charb, l'une des victimes de l'attentat, figurait sur une liste de cibles publiée par Al-Qaïda et était sous protection policière. L'urgentiste Patrick Pelloux, ancien chroniqueur du journal et resté proche de Charlie, s'en est pris aux idéologies "obscurantistes" et au "fanatisme religieux".
Gravement blessé dans l'attaque, le webmaster Simon Fieschi doit toujours s'aider d'une béquille pour marcher. Ses séquelles, "physiques, sensorielles, psychologiques", sont "à vie", mais il assure néanmoins "regarder le verre à moitié plein". "Cette balle ne m'a pas raté, mais je dirais aussi qu'elle ne m'a pas eu. Et c'est pareil pour le journal: on s'en est relevé", lance-t-il à la barre.
"La liberté, ça se défend!"
Grand reporter pour l'hebdomadaire, Fabrice Nicolino préfère lui aussi se projeter vers l'avenir lorsqu'il parle de l'attaque. "Charlie, ce n'est pas que la culture de la mort, ce n'est pas que les attentats. C'est aussi un gigantesque appel à la vie", martèle le journaliste.
Déjà blessé lors d'un précédent attentat islamiste à Paris en 1985, Fabrice Nicolino a été touché aux jambes et à l'abdomen lors de l'attaque de Charlie, et marche lui aussi avec une béquille. Une souffrance qui passe après son "combat" pour Charlie.
Ce journal, "on a le droit de l'aimer ou de le détester, toute l'équipe de Charlie s'en contrefout", mais "il s'agit de liberté, et la liberté concerne tout le monde!", s'emporte le sexagénaire, avant de fustiger le manque d'intérêt de ses confrères pour l'hebdomadaire. "Les gens épouvantables qui nous attaquent, franchement je les déteste, je les vomis. La liberté ça ne se discute pas, ça se défend!"
Quatorze accusés sont jugés jusqu'au 10 novembre devant la cour d'assises spéciale de Paris pour leur soutien logistique aux auteurs des attaques contre l'hebdomadaire, des policiers et le magasin Hyper Cacher entre le 7 et le 9 janvier 2015 qui avaient fait 17 morts.
afp/ther