Ce n'est pas un hasard si Joe Biden a choisi la Floride pour son premier déplacement de l'année, à six semaines de l'élection présidentielle américaine. Pas un hasard non plus si, dans cet Etat-pivot par excellence, le candidat du Parti démocrate s'est rendu à Kissimmee, une ville du centre de la Floride où se sont installés de nombreux Portoricains à la suite de l'ouragan Maria, qui a dévasté Porto Rico en 2017 et à la suite duquel le président avait proposé de vendre l'île au plus offrant.
"Donald Trump a failli face à la communauté hispanique encore et encore", a déclaré Joe Biden lors de cet événement, insistant sur la façon dont l'actuel locataire de la Maison Blanche a laissé tomber les hispaniques avec sa politique conflictuelle en matière d'immigration et sa réponse désastreuse à l'épidémie de coronavirus. Pour l'ancien vice-président de Barack Obama, il s'agissait surtout d'apaiser les inquiétudes de la communauté latino alors que la campagne Trump s'acharne à le décrire comme "un socialiste".
"C'est un repoussoir pour les hispaniques d'origine cubaine, qui ont fui Castro et qui la plupart se sont enrichis en Floride et se sentent redevables envers les républicains", analyse Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l'Université de Paris II. Mais il nuance: "la démographie évolue en Floride et la communauté hispanique compte un nombre grandissant de Portoricain-es, plus sensibles aux idées des démocrates". C'est à elles et eux que Joe Biden est allé parler mercredi 16 septembre. Mais cela suffira-t-il?
Des Etats décisifs
Comme en 2016, où Donald Trump avait gagné avec seulement 1,2 point d'avance sur Hillary Clinton, la situation s'annonce serrée en Floride en 2020. Et personne n'a oublié non plus l'interminable décompte des voix entre George W. Bush et Al Gore, il y a exactement vingt ans. Selon le système électoral américain, le parti qui remporte la majorité dans un Etat remporte en fait l'ensemble des grands électeurs de cet Etat. Pour la Floride, ils sont 29 et ce sont eux qui - ensuite - élisent le président (voir explication en vidéo).
Qualifiés d'Etats-pivots (ou "swing state" en anglais), ces Etats ont le pouvoir de faire basculer le résultat de la présidentielle dans un camp ou dans l'autre. C'est pourquoi les deux candidats ont prévu d'y griller leurs dernières cartouches. Dans le système américain, des Etats même très petits peuvent jouer un rôle crucial. D'autres, stratégiques en 2016, ne le sont plus aujourd'hui. C'est le cas par exemple de la Virginie qui a été conquise par les démocrates il y a quatre ans et qui n'est plus considérée comme un "swing state".
Cette année, les regards se porteront principalement sur les Etats où l'écart a été particulièrement serré entre les partisans de Donald Trump et ceux de sa rivale démocrate Hillary Clinton à la dernière présidentielle. Outre la Floride, la campagne se fait féroce dans le Michigan, en Pennsylvanie et dans le Wisconsin, trois Etats qui avaient créé la surprise en signant la victoire des républicains dans d'anciens bastions industriels d'ordinaire acquis aux démocrates.
Dans ces Etats industriels qui ont souffert des délocalisations, Donald Trump est resté crédible grâce à sa politique étrangère. Quand il agit contre la Chine, il parle d'emplois, il montre qu'il est là, qu'il mène une politique concrète pour les ouvriers
En Pennsylvanie, la bataille a peut-être même déjà eu lieu. Et pour cause: Joe Biden, enfant de cet Etat, a gardé contact avec les ouvriers de cet Etat voisin de Delaware, où il vit désormais. Selon un sondage de l'Université de Quinnipiac, cité par l'AFP, il y dispose même d'une solide avance face à Donald Trump. Il aurait 52% des intentions de vote.
Vent favorable pour Joe Biden, mais...
Un classement publié jeudi par Cook Political confirme cette tendance, allant même jusqu'à placer - outre la Pennsylvanie - le Michigan, l'Arizona, le Nevada et le Wisconsin dans le camp démocrate. "Les sondages s'envolent en faveur de Biden dans le Minnesota, le Wisconsin et l'Arizona. Désormais la situation est assez simple: il rafle le Michigan et le Nevada, c'est gagné; il emporte juste la Pennsylvanie, c'est gagné; ou encore à lui la Floride, c'est gagné", s'enthousiasme Jean-Eric Branaa.
Mais le camp Trump n'a pas encore dit son dernier mot. Certains Etats pourraient rester acquis aux républicains. C'est le cas par exemple de l'Ohio avec sa population vieillissante, anciennement ouvrière et rurale, sensible au discours sur les armes et contre l'avortement de l'actuel occupant de la Maison Blanche et de son allié Mike Pence. Pourtant l'Ohio vote habituellement à l'image de l'ensemble des Etats-Unis. Serait-ce un présage? Ou faut-il y voir la fin d'une époque où ce petit Etat servait de baromètre?
>> Lire : Et si Donald Trump était réélu? Une étude suisse tend à le prédire
Le Minnesota, qui vote démocrate depuis 45 ans, pourrait lui aussi voter Donald Trump tant son électorat composé à majorité de Blancs non-diplômés incarne le public cible du président américain. Président qui peut en outre compter sur la prime au sortant et qui ne lésinera pas sur les moyens pour rafler la mise sur la dernière ligne droite de la campagne.
Le Texas, nouveau terrain de chasse
Reste à savoir comment se comportera l'électorat dans d'autres Etats. La Géorgie, par exemple, reste un mystère absolu, de par son évolution démographique. L'électorat noir américain, de plus en plus important depuis vingt ans, pourrait y faire la différence en faveur des démocrates avec un argument de poids: Joe Biden est l'allié historique de Barack Obama, le premier président noir de l'histoire des Etats-Unis qui reste la superstar aux yeux de cette communauté.
Enfin, le Texas cristallise lui aussi l'attention cette année et pour cause, cet Etat qui représente 38 grands électeurs est devenu le nouvel eldorado du Parti démocrate qui n'y a plus trouvé de majorité depuis Jimmy Carter en... 1976. L'heure du basculement est-elle venue? Loin de son image d'Epinal, le Texas ne se limite aujourd'hui plus à quelques ranchs. L'urbanisation croissante joue en faveur des démocrates plus progressistes. En 2018 a sonné comme un avertissement lorsque la nouvelle star des démocrates, Beto O'Rourke, a failli mettre sur la touche le ténor républicain Ted Cruz au Sénat.
L'électorat hispanique a augmenté de 12% selon les derniers recensements, précise Jean-Eric Branaa, maître de conférences à Paris II. "Joe Biden est un démocrate plutôt conservateur, il ne déplaît pas au Texas. Mais le basculement politique qui doit arriver aura lieu, à mon avis, plus probablement en 2024", observe-t-il. D'ici là, les paris sont ouverts.
Juliette Galeazzi