Des procès filmés pour l'histoire, il y en a déjà eu plusieurs concernant des criminels de la Seconde Guerre mondiale. Le procès de Charlie Hebdo, lui, est le premier qui s'intéresse à des actes terroristes. Ces captations audiovisuelle aident à construire une mémoire collective et à la préserver.
Pour Virginie Sansico, spécialiste de la justice et membre d'un programme qui travaille sur les procès du terrorisme interrogé dans l'émission Tout un Monde, filmer un procès est aussi une décision politique.
Loi de 1985
La captation de procès avait été interdite en 1954 en France, car les photographes étaient trop nombreux dans les prétoires. Les interdire dans le tribunal visait à retrouver une sérénité dans les salles d'audience.
Puis, en 1985, Robert Badinter, alors ministre de la Justice, a fait voter une loi à l'Assemblée nationale pour le retour de la caméra dans les prétoires. "L'idée, c'était de conserver des archives audios et visuelles de procès qui sont considérés comme historiques par leur importance politique et sociologique", précise Virginie Sansico.
Le procès de Charlie Hebdo sera ainsi le quatorzième de l'historie à être versé aux Archives nationales de France.
Archives peu exploitées
Les captations audiovisuelles de ce genre de procès ont été encore assez rares. Les derniers exemples concernaient les criminels de la Deuxième Guerre mondiale. Pour différentes raisons, ces archives sont encore peu exploitées: en premier lieu parce que les procès ne sont pas librement diffusables et reproductibles avant cinquante ans. Ils restent consultables aux Archives nationales de France, mais seulement sur demande motivée d'un historien ou d'un chercheur pour un documentaire radio.
En outre, les historiens les emploient peu, "parce qu'elles n'apportent que très peu d'éléments neufs" sur des faits historiques, explique Virginie Sansico. "Elles viennent donner une décision judiciaire sur des événements qui ont déjà été travaillés", ajoute-t-elle. Comme dans le cas des procès de Klaus Barbie ou de Maurice Papon par exemple.
Une autre partie de l'histoire s'écrit
Là où s'arrêtent les archives papiers, les archives audio-visuelles ouvrent une nouvelle facette de l'histoire. Ces procès filmés rendent compte du langage non-verbal. Un aspect très important qui permet d'écrire une autre partie de l'histoire.
L'historien et réalisateur Christian Delage explique que, pour lui, ce qui se passe pendant l'audience est important, au-delà de ce qui est dit. "Les silences, les hésitations, parfois il y a une émotion très grande", explique-t-il.
Ce qui est fort également dans ces procès filmés, c'est qu'ils n'atteignent pas le même public. "Le procès de Nuremberg, grâce à l'archive filmée, est connu dans le monde entier. Alors que si ce n'était que les 22 volumes de la transcription ou les milliers de livres qui ont été écrits dessus, cela ne s'adresserait pas au même public", ajoute-t-il.
Choix éditoriaux
Pour filmer un procès, il faut respecter des conditions de captation précises et contraignantes. La caméra sera toujours dirigée sur la personne qui parle. "La manière dont sont filmés ces procès impliquent des choix éditoriaux, il y a plein de choses que l'on ne verra pas", indique Virginie Sansico. Le réalisateur intervient le moins possible lors de la captation du procès.
Christian Delage plaide pour davantage de liberté dans la captation, afin de mieux restituer le procès avec les interactions entre les personnes et leurs réactions.
"De tout temps, de Nuremberg à aujourd'hui, la contrainte qui a été imposée aux équipes de tournage, c'est de rendre le plus discret possible les caméras", explique Christian Delage. Dans la salle d'audience pour le procès de Charlie Hebdo, "il y a déjà cinq caméras qui sont installées en permanence, elles sont toutes petites et noires et proches du plafond, personne ne les voit", ajoute-t-il.
Une réponse juridique
Les caméras ne gênent pas lors des procès. Denis Salas, magistrat et essayiste, affirme qu'il est facile de les oublier pour se concentrer sur la procédure juridique.
"Il faut que nous gardions en mémoire les images de ces procès pour montrer aux générations futures que la démocratie, notre Etat de droit, a su répondre non par la violence guerrière, mais par les armes du droit", déclare Denis Salas.
La captation de ce procès est importante pour avoir des images qui attestent de la réalité de ce qui s'est passé et de la réponse de la justice.
"Il y a un motif pédagogique, on s'aperçoit aujourd'hui que la négation de ces attentats, des menaces de mort contre Charlie Hebdo, contre le gouvernement français montrent qu'il y a une culture, une sous-culture de négation de cette criminalité djihadiste", précise-t-il
Portée symbolique
Ces centaines d'heures enregistrées du procès de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, qui seront disponibles aux Archives nationales de France, auront une portée symbolique. "Tous les témoignages de la rédaction de Charlie Hebdo, ce sont des moments très important, des moments uniques. On sent comment les victimes ou les témoins contiennent leur émotion et essaient de s'adresser à la fois aux accusés et, par delà les murs du prétoire, à la société. Une interaction essentielle", conclut Christian Delage.
Sujet radio: Blandine Levite
Adaptation web: Clotilde Loup
Trois grands procès historiques filmés
20 octobre 1945 au 1er octobre 1946: le procès de Nuremberg est l'un des premiers dans le système judiciaire où des images sont présentées comme preuve en audience.
11 mai 1987: depuis la loi Badinter, le procès du criminel nazi Klaus Barbie est le premier à être filmé pour être dans les Archives nationales de France.
8 octobre 1997: le procès de Maurice Papon s'ouvre. À ce moment-là, une loi impose un délai de 50 ans avant que la reproduction et la diffusion des images des procès ne soient libres.
>> L'article du Figaro : Procès des attentats de janvier 2015: les images seront versées aux Archives nationales