"Un État qui maîtrise l'épidémie avec un vaccin s'imagine qu'il va être plus fort, qu’il va ressortir gagnant", souligne Vinh-Kim Nguyen, co-directeur du Global Health Centre à l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, dans Géopolitis.
Avec plus de 900'000 morts et 300'000 nouveaux cas déclarés chaque jour, l’épidémie du Covid-19 bouleverse toujours la planète. La découverte d'un vaccin efficace est devenue la priorité des gouvernements. La Russie de Vladimir Poutine affirme avoir déjà relevé le défi, avec son vaccin 'Spoutnik V', pourtant toujours en phase d'essai. Donald Trump promet à ses concitoyens qu'un vaccin sera rapidement disponible, peut-être même avant l'élection présidentielle du 3 novembre.
Les pressions internes et externes pour arriver en tête de cette bataille sont extrêmement fortes. Aux États-Unis, par exemple, l'administration Trump a empiété sur les prérogatives du Center for disease control (CDC), l'agence fédérale en première ligne de la lutte contre le coronavirus. "Ce qui est particulièrement grave, analyse Vinh-Kim Nguyen, c'est l'impact que cela peut avoir sur la confiance de la population envers les mesures de santé publique."
Crise de confiance
En Europe et ailleurs, les manifestations sont de plus en plus nombreuses pour critiquer les mesures de lutte anti-Covid. Sur les réseaux sociaux aussi, les messages anti-vaccination se multiplient, relayant parfois des thèses radicales ou complotistes. Pour certains, la vaccination servirait même à implanter des puces électroniques à grande échelle. Selon Vinh-Kim Nguyen, il y a des données qui suggèrent que les Russes ont déjà été derrière certaines campagnes anti-vaccination sur internet, avec un objectif de destabilisation. "Le lien de confiance entre un État et sa population est très fort", poursuit-il. "Et si on peut briser cette confiance autour des questions de vaccins, on sort renforcé."
Selon un sondage du World Economic Forum effectué dans une trentaine de pays et publié le 2 septembre, un quart des personnes interrogées seraient réticentes ou hésitantes à se faire vacciner contre le coronavirus. Faut-il faire confiance aux industries pharmaceutiques qui se sont engagées à ne délivrer qu'un vaccin sûr et totalement efficace? "Oui", répond le docteur Vinh-Kim Nguyen: "Aucune société ne va vouloir distribuer un vaccin qui est inefficace ou même dangereux, ce serait un suicide économique."
Nationalisme vaccinal
Près de 200 entreprises et instituts universitaires sont mobilisés dans la recherche d'un vaccin à travers le monde. Neuf candidats vaccins ont atteint la phase 3, avec des essais cliniques à grande échelle. Les États qui en ont les moyens ont déjà commencé à passer des contrats avec des laboratoires pour précommander des centaines de millions de doses. Les États-Unis ont dépensé plus de 10 milliards de dollars dans cette course. L'Union européenne négocie aussi des accords pour plus d'un milliard de doses.
On a vu avec le Covid l'émergence d'un nationalisme thérapeutique et maintenant d'un nationalisme vaccinal.
Mi-août, le directeur général de l'OMS, Tedros Ghebreyesus appelait à prévenir le "nationalisme vaccinal". Un appel qui n'a pas été entendu, selon Vinh-Kim Nguyen: "On a vu avec le Covid l'émergence d'un nationalisme tout court, un nationalisme thérapeutique, sur les chaînes d'approvisionnement, en médicaments et maintenant, un nationalisme vaccinal."
Pourtant, des mécanismes de coopération internationale existent. Le programme Covax, copiloté par l'OMS, prévoit prévoit l'achat de 2 milliards de doses qui seraient réparties équitablement dans le monde. La moitié serait réservée à une centaine de pays à faible revenu.
"Le stock de vaccins disponibles pour Covax dépend de ce qu'il reste après les achats des autres États à prix fort", relève Vinh-Kim Nguyen. "On assiste effectivement à une concurrence féroce entre les États pour acheter le vaccin." Selon un rapport de l'ONG Oxfam, certains pays riches qui représentent au total 13% de la population mondiale auraient déjà précommandé la moitié des doses potentiellement disponibles.
Elsa Anghinolfi
Une deuxième vague en perspective
La probabilité d'une deuxième vague épidémique est très élevée, selon Vinh-Kim Nguyen, alors que plusieurs pays d'Europe constatent une augmentation des nouveaux cas dépistés. "Ces dernières semaines, on se demande s'il ne commence pas à y avoir une augmentation du nombre de cas hospitalisés, à Genève et ailleurs. C'est trop tôt pour le dire mais je pense que la deuxième vague va arriver", explique ce spécialiste de santé publique.
Il est possible qu'un vaccin efficace soit découvert dès ce printemps, mais les doses nécessaires à de grandes campagnes de vaccination ne seront pas disponibles immédiatemment.
Qui seront alors les premiers vaccinés? Selon quels critères? Pour Vinh-Kim Nguyen, la réponse dépendra de chaque pays mais aussi de la situation épidémiologique. "On voudra peut-être vacciner un jeune parce qu'il a plus de chances de transmettre le virus, quelqu'un de plus âgé avec plusieurs maladies parce qu'il a plus de chances de mourir. On va vouloir vacciner une infirmière. Donc il faut trouver l'équilibre entre ces priorités."
Deux ans seront probablement nécessaires après la découverte d'un vaccin pour produire assez de doses et vacciner suffisamment de personnes.