Tous ont accumulé des fortunes qui dépassent l'entendement. Les ultra-riches se sont même considérablement enrichis depuis le début de la pandémie de coronavirus, comme le montre une récente étude de la banque UBS. Certains disent vouloir sauver le monde et s'imposent dans des secteurs réservés traditionnellement au pouvoir des États.
Grâce aux fusées SpaceX d'Elon Musk, la NASA peut à nouveau envoyer dans l'espace des astronautes américains depuis le territoire des États-Unis, en dépensant moins et sans dépendre des vaisseaux Soyouz de la Russie. Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, semble bien décidé à être le précurseur d'une nouvelle monnaie virtuelle et universelle. Bill Gates, lui, s'inscrit dans la grande tradition des philanthropes américains. A travers la fondation Bill et Melinda Gates, il s'est rendu indispensable dans la lutte contre la poliomyélite ou le paludisme en Afrique. Il s'est engagé à verser des milliards pour la recherche et la distribution équitable d'un vaccin contre le Covid-19. Sa fondation est même devenue le plus gros contributeur de l'OMS, depuis le gel des contributions de l'administration Trump décidé en avril dernier.
La philanthropie des milliardaires échappe à tout contrôle démocratique.
La guerre contre le coronavirus a fédéré bien sûr d'autres grandes fortunes. Le directeur de Twitter Jack Dorsey fera don d'un milliard. Le Chinois Jack Ma, fondateur du site Alibaba, a distribué des millions de kits de dépistage et des masques sur le continent africain. Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, et Mark Zuckerberg ont aussi promis des millions.
"Quand les États ne peuvent pas ou ne veulent pas protéger les droits fondamentaux, les privés doivent se mobiliser", concède Dorothée Baumann-Pauly, directrice du centre Business and Human Rights de l'Université de Genève, invitée dans l'émission Géopolitis. Mais selon elle, la philanthropie des milliardaires échappe à tout contrôle démocratique. Dans le cas de la fondation Gates, elle déplore notamment le manque de transparence sur les décisions stratégiques: "On ne sait pas pourquoi la fondation privilégie la recherche et le traitement d'une maladie plutôt qu'une autre, et ça c'est un problème!" Mais comment imposer aux grandes fortunes un contrôle sur des dons volontaires? Dorothée Baumann-Pauly suggère des mécanismes de contrôle similaires à ceux des États démocratiques.
Milliardaires toujours plus riches
Elon Musk, le patron excentrique de SpaceX, a vu sa fortune pratiquement multipliée par 5 cette année. Début septembre, elle atteignait 115 milliards de dollars, selon le Bloomberg Billionnaires Index. Or, 115 milliards, c'est l'équivalent environ du PIB du Maroc ou de l'Équateur. Mark Zuckerbeg détient lui 111 milliards de dollars. Bill Gates, 125 milliards.
En matière de philanthropie, ces milliardaires n'ont de compte à rendre à personne. Dorothée Baumann-Pauly s'interroge donc sur l'origine de ces immenses richesses. Elle cite notamment le livre "Winner Take All", de l'ancien chroniqueur du New York Times Anand Giridharadas qui dénonce l'hypocrisie des ultra-riches prétendant sauver le monde: "Il est provocateur en disant que la philanthropie n'est qu'une manière de réparer les dommages que les entreprises ont causés". Une philanthropie de rattrapage? "Oui, exactement", poursuit la professeure de l'Université de Genève. "Idéalement, il serait beaucoup mieux que les entreprises conduisent leurs affaires en y intégrant et en respectant les normes d'environnement et les droits humains."
Business et éthique
Le 24 avril 2013, le complexe vétuste du Rana Plaza s'écroulait dans la banlieue de Dacca au Bangladesh, faisant 1133 morts et au moins 2500 blessés. La plupart d'entre eux étaient des ouvriers du textile payés des salaires de misère. Après le drame, les multinationales de la mode ont dû se racheter une conduite et une image. Une trentaine de marques occidentales se sont engagées pour renforcer la sécurité des usines et améliorer les conditions de travail chez leurs fournisseurs. Enseignes de luxe ou de prêt-à-porter, comme H&M, Nike ou Décathlon, les marques ont aussi adapté une partie de leur offre vers une mode plus respectueuse des droits de l'homme et de l'environnement, en imposant notamment un meilleur contrôle sur les chaînes d'approvisionnement.
Mais la réalité est parfois bien loin des promesses éthiques des marques, comme le révélait une récente enquête du magazine Temps présent "Made in Ethiopie". En Ethiopie, d'immenses parcs industriels ont été développés sous l'impulsion d'investisseurs étrangers, notamment chinois. Dans des usines flambant neuves, des escadrons d'employés - des femmes principalement - produisent 10 heures par jour les jeans, T-shirts et autres accessoires de mode vendus à travers le monde. Ils gagnent moins de 30 dollars par mois.
Le gouvernement éthiopien justifie cette politique de bas salaires par un souci de ne pas faire fuir les investisseurs et pour pouvoir offrir un emploi aux centaines de milliers de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. C'est un dilemme auquel sont confrontés bien d'autres pays du Sud, regrette Dorothée Baumann-Pauly. Quand les salaires en Chine ont augmenté, les marques ont cherché des alternatives au Bangladesh, en Birmanie, au Cambodge et en Éthiopie.
Mélanie Ohayon
>> Voir "Made in Ethiopie" du magazine Temps présent: