Scruté de près par la communauté internationale, Pékin ne peut plus dissimuler l’ampleur de l’opération menée à l’extrême ouest de la Chine. Les autorités avaient d’abord commencé par nier tout programme d’internement avant de finalement reconnaître, début 2019, l’existence de "centres de formation professionnelle" fermés.
Le chiffre articulé par Pékin correspond aux estimations de nombreux chercheurs et organisations non gouvernementales qui dénoncent depuis des années l’internement d’au moins un million de personnes au Xinjiang.
Programme de "déradicalisation"
Le rapport publié jeudi par le conseil des affaires d’Etat souligne l’efficacité de sa stratégie. Les 1,3 million d’individus ayant transité chaque année dans ces centres ont acquis de meilleures connaissances en mandarin, des notions élémentaires du droit chinois, des compétences professionnelles de base et, surtout, ont pu bénéficier d’un programme de déradicalisation, explique le document.
Ce dernier précise en outre que cette stratégie aurait contribué à l’amélioration de la force de travail au Xinjiang, favorisant le développement de la région et la lutte contre la pauvreté – un des mantras du Parti communiste.
Multiplication des condamnations internationales
Pékin publie ce bilan positif au moment où les condamnations internationales se multiplient à son encontre. De nombreux pays et organisations ont saisi le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour exiger la mise sur pied d’une enquête indépendante dans la région. Si les autorités chinoises organisent depuis plus d’un an des visites accompagnées, elles ont jusqu’ici refusé l’envoi sur place de tout rapporteur indépendant.
Le Congrès américain a récemment adopté le Uygur Human Rights Policy Act, sanctionnant des officiels du parti communiste chinois ainsi que différentes entités impliquées dans la répression au Xinjiang.
Un texte bipartisan visant à bannir tous les biens produits dans la région est en outre actuellement en discussion. La Chine déclare de son côté avoir démantelé la plupart de ces "centres de formation", la majorité des "élèves" en étant ressortis diplômés et travaillant actuellement dans diverses usines.
Points controversés pas abordés
Par son rapport au ton modéré, Pékin tente de justifier sa politique au Xinjiang pour mitiger les critiques occidentales. Les autorités s’attachent à souligner les bienfaits sociaux d’une politique destinée à améliorer le niveau de vie des habitants.
Le document n’aborde pas les points les plus controversés, comme les motifs d’envois dans ces "écoles", à savoir des centres fermés surmontés de barbelés, flanqués de miradors et dont les rescapés décrivent avoir subi des sévices physiques et psychologiques.
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Michael Peuker/asch
Travail forcé des musulmans du Xinjiang
Ces dernières années, Pékin a construit et largement promu ses zones industrielles au Xinjiang. Le constructeur allemand VW a par exemple été pointé du doigt pour la construction d’une usine à Urumuqi d’où sortent 50'000 véhicules par année.
D’autres entreprises entretiennent des liens économiques plus où moins directs dans la région. Le site ChinaFile avait publié en septembre 2019 une liste des entreprises européennes actives au Xinjiang.
Placement forcé dans des manufactures
En mars dernier, l’Australian Strategic Policy Institute publiait un rapport fouillé exposant le placement forcé de musulmans du Xinjiang dans différentes manufactures du pays. Une fois sortis des camps, ils seraient nombreux à avoir été mis au travail dans diverses provinces.
L’étude fait par exemple état d’annonces publiées par des agences de placement, vantant les mérites des travailleurs du Xinjiang – des individus "disciplinés", habitués à une "conduite de type militaire", "résistants et dévoués". Une agence de la ville de Qingdao, au nord-est de la Chine, affichait de telles publicités en précisant ne pas répondre aux commandes de moins de 100 ouvriers.
Enjeu de taille pour les industriels étrangers
Des sous-traitants de nombreuses entreprises internationales parmi lesquelles Nike, Fila, Adidas, Puma, Apple, Sony, Samsung et bien d’autres ont été épinglés par ce rapport. L’expansion du travail forcé des minorités musulmanes du Xinjiang à l’ensemble de la Chine constitue désormais un enjeu de taille pour les industriels étrangers, soucieux de voir leur nom associé à l’exploitation d’êtres humains.
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Dans une récente interview au quotidien allemand Die Zeit, le PDG de Siemens, Joe Kaeser, déclarait : "Nous rejetons catégoriquement toute forme d’oppression et de travail forcé et refusons d’être associé à des violations des droits humains. […] Nous ne pouvons ni le tolérer au sein de nos entreprises ni de la part de nos partenaires."