Des interrogations quant à ses effets sur des enfants âgés d'une
dizaine d'années ont aussi été suscitées.
Selon ce projet, dévoilé mercredi devant les responsables de la
communauté juive, chaque élève de dernière classe d'école primaire
devra connaître dès la rentrée 2008 "le nom et l'existence d'un
enfant mort pendant la Shoah".
Transmission du traumatisme
Psychologues et psychiatres, ainsi que plusieurs syndicats
d'enseignants, ont aussitôt souligné le risque de développer chez
les enfants "un sentiment de culpabilité". "Sur le plan psychique,
c'est une aberration", a expliqué Marie-Odile Rucine, psychologue
en pédiatrie aux Hôpitaux de Paris, selon laquelle le seul travail
sur la Shoah à cet âge doit être "un travail éducatif de manière
collective".
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre réputé dont les parents ont été
déportés, jugeait lui aussi dans le journal Le Monde que le projet
de Nicolas Sarkozy n'était pas le moyen de "parler de la Shoah sans
transmettre d'angoisse ou de traumatisme".
Visitant vendredi une école à Périgueux (sud-ouest), Nicolas
Sarkozy a néanmoins fermement défendu son idée. "On ne traumatise
pas les enfants en leur faisant ce cadeau de la mémoire d'un pays",
a-t-il assuré, expliquant qu'il s'agissait d'"une démarche contre
tous les racismes, contre toutes les discriminations, contre toutes
les barbaries". Il a maintenu, alors qu'il lui est reproché de
sortir de ses prérogatives avec une initiative annoncée sans
concertation préalable, que "le rôle d'un président de la
République, c'est aussi de parler de cela".
Réactions à gauche et à droite
Son projet a été salué par des membres de la majorité, par
quelques voix à gauche dont celle du chef du Parti socialiste
François Hollande, et par le président de l'Association des fils et
filles des déportés juifs de France, l'ancien chasseur de nazis
Serge Klarsfeld.
Mais elle a aussi suscité de très nombreuses protestations et
réactions mitigées, jusqu'au sein de la majorité politique et de la
communauté juive. L'ex-ministre française Simone Veil, ancienne
déportée et une des personnalités les plus respectées du pays, a
jugé le projet "inimaginable, insoutenable et injuste". "A la
seconde, mon sang s'est glacé", a expliqué Simone Veil en évoquant
sa réaction à cette annonce. "Cette mémoire est beaucoup trop
lourde à porter" pour un enfant, et risque en outre d'attiser les
antagonismes religieux, a déclaré Simone Veil, 80 ans, présidente
d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, qui a
soutenu Nicolas Sarkozy à la présidentielle.
Ancien ministre de l'Education, le dirigeant centriste François
Bayrou a dénoncé un "mélange des genres entre émotion et Histoire",
La socialiste Ségolène Royal y a vu "un manque de respect et une
étonnante légèreté de la part du chef de l'Etat" face à un
"impératif moral qui ne tolère aucune instrumentalisation".
agences/het
Intellectuels sceptiques
"Les jeunes sont gavés de Shoah et cela n'a pas empêché la montée de l'antisémitisme", a estimé le philosophe Pascal Bruckner dans le quotidien de droite Le Figaro, déplorant une "initiative dangereuse".
Les historiens ne sont pas en reste. «Je pense qu'il y a quelque chose de réellement monstrueux de vouloir faire porter par un enfant de neuf, dix, ou onze ans la mémoire d'un enfant mort à une autre période», s'est indignée l'historienne Annette Wievorka, spécialiste reconnue de l'histoire de la Shoah et petite-fille de déportés. «Je ne vois pas l'intérêt éducatif d'une telle mesure. Je pense que nous élevons nos enfants pour en faire des hommes et des femmes qui ont le goût de la vie et pas pour les 'plomber' dans la mort», a-t-elle ajouté.
L'historien Henri Rousso a dénoncé dans Libération (gauche) le "marketing mémoriel" de Nicolas Sarkozy qui, après avoir exigé la lecture au début de l'année scolaire à tous les lycéens de la lettre d'adieu d'un jeune résistant français fusillé par les nazis, veut encore selon lui forcer l'école à "un devoir de mémoire de plus en plus déconnecté de l'Histoire".
Doutes de la LICRA
La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) émet vendredi "des doutes" sur la proposition de Nicolas Sarkozy de confier la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah à chaque élève de CM2, même si ce projet est "certainement motivé par de louables intentions".
L'Union des étudiants juifs de France (UEJF) a accueilli la proposition "de manière réservée", craignant qu'elle ne soit "contre-productive".