Modifié

"Je pensais que mon rôle était de donner du plaisir à l'homme et ça venait à 100% du porno"

Six jeunes Britanniques plongent dans les coulisses de l'industrie pornographique. Le documentaire "Le porno mis à nu", diffusé mercredi sur RTS Un, révèle à quel point la pornographie ultra accessible est devenue une référence, consciente ou non, en termes d'éducation sexuelle.

"Le porno mis à nu" dévoile les coulisses de films pornographiques à la manière d'une télé-réalité. Un choix délibéré des producteurs de BBC Three pour s'adresser à un public jeune et ouvrir le débat sur l'influence de ce type de films sur les pratiques sexuelles. Trois femmes et trois hommes entre 20 et 30 ans ont été choisis pour vivre deux semaines dans un des hauts-lieux de l'industrie pornographique: l'Espagne.

Anna ne consomme pas de porno, Cameron occasionnellement, Drew de manière fréquente et assumée comme Ryan qui est un grand fan des stars du milieu. Nariece rêve de devenir "performeuse", tandis que Neelam a décidé de ne plus regarder de porno. Elle en visionnait régulièrement depuis l'âge de 12 ans. "Je pensais que mon rôle était de donner du plaisir à l'homme et ça venait à 100% du porno", déclare-t-elle.

Le documentaire suit les protagonistes dans leurs rencontres avec des travailleurs du sexe et des consommateurs de films porno. Au-delà d’une enquête bien ficelée, le documentaire révèle à quel point la pornographie ultra accessible est devenue une référence, consciente ou non, en termes d'éducation sexuelle.

Les femmes n'ont pas forcément envie que les hommes jouissent sur leur visage, tout le temps.

Jason Mitchell, producteur exécutif du documentaire "Le porno mis à nu".

Après la diffusion du documentaire en Angleterre, BBC Three a décidé de sonder plus de 1000 jeunes gens entre 18 et 25 ans durant les mois de janvier et février 2019. Selon ce sondage (DeltaPoll 2019), 52% des hommes interrogés ont déclaré que la pornographie est leur principale source d'éducation sexuelle et 23% estiment en être accros.

"C'est déprimant mais ça explique sûrement pourquoi autant d'hommes se comportent comme ils se comportent", constate Jason Mitchell, producteur exécutif du "Porno mis à nu". "Or, par exemple, les femmes n'ont pas forcément envie que les hommes jouissent sur leur visage, tout le temps."

>> Ecouter l'interview de Jason Mitchell :

Logo Bisous
Bisous, l'interview / 20 min. / le 8 octobre 2020

Le porno, première source d'éducation sexuelle ?

"La pornographie, c’est un des seuls endroits où n’importe qui peut regarder d'autres personnes avoir des relations sexuelles. C’est une des seules sources d’informations directes sur le sujet", constate Viviane Moret, conseillère en santé sexuelle diplômée et cofondatrice du Festival de la Fête du Slip à Lausanne."Il devrait y avoir plus d’endroits où l’on peut venir parler de sexualité, en toute vulnérabilité. C’est tellement important. Il faut proposer des alternatives à la pornographie."

>> Voir l'interview de la conseillère en santé sexuelle diplômée Viviane Morey:

voir notre interview sur Facebook

Education sexuelle vs. pornographie

Pour de nombreux professionnels de la santé, limiter l’accès des mineurs aux plateformes de pornographie semble illusoire. Selon Noémi Grütter,coprésidente de Santé Sexuelle Suisse, il faut en parler, aiguiser l'esprit critique des plus jeunes (notamment via la plateforme Ciao), éveiller les consciences sur la différence entre réel et fiction. Elle ajoute: "Il y a encore beaucoup de lacunes dans l’éducation sexuelle enseignée actuellement en Suisse. L’école est pourtant le seul endroit où tous les enfants reçoivent les mêmes informations, sans discrimination."

Pour Romy Siegrist, sexologue et psychologue à Lausanne, le temps manque dans les cours d'éducation sexuelle. La priorité est d'informer sur les risques liés à la sexualité: grossesse, transmission de maladies. Mais l’éducation sexuelle ne devrait pas s'arrêter à la prévention. Les jeunes ont besoin qu’on leur parle d'autres aspects de la sexualité. Et notamment de consentement. C'est la base d'une sexualité épanouie. Pour la sexologue, il est impératif de proposer des alternatives à la pornographie: "Un des dangers avec la pornographie 'mainstream', c’est qu’elle va renforcer les stéréotypes, proposer les mêmes scénari, les même types de corps…"

Romy Siegrist va jusqu'à plaider pour une plateforme de contenus pornographiques éthiques, soutenue par l'Etat, afin de proposer une alternative aux mastodontes de la pornographie industrielle. La sexologue, en collaboration avec la psychologue Cécile Vuillemin, propose d'ores et déjà des ateliers "éducation sex-positive" conçus pour les parents et les proches de pré-ados et d'adolescents: "Savoir quoi dire, quand et comment s’avère souvent bien plus compliqué qu’il n’y paraît… Ces ateliers ont pour but de donner des informations et des outils concrets afin d’aborder les questions de sexualité avec les jeunes", explique Romy Siegrist.

A l'occasion de la diffusion du documentaire, une soirée spéciale est prévue mercredi soir 14 octobre dès 21h10 sur RTS 1 avec le débat d’Infrarouge«A l’école du porno?».

Les Documentaires de la RTS - Muriel Reichenbach

Publié Modifié

Quelques chiffres pour la Suisse

44% des jeunes ont déjà regardé un film porno sur leur téléphone mobile ou sur leur ordinateur en Suisse (étude James 2018). C’est à 12 ans, en moyenne, que les enfants commencent à regarder ou sont confrontés à leurs premières images pornographiques. L’accès généralisé aux téléphones portables ne fait qu’augmenter l’accès à ce type d’images.

68 % des garçons âgés de 12 à 19 ans indiquent avoir déjà regardé de la pornographie sur leur ordinateur ou leur smartphone. Ce chiffre s'élève à seulement 21 % chez les filles. Dans l'étude Lust-und-Frust (2012), les garçons rapportent que la vue de films ou d'images pornos leur donne envie d'avoir des relations sexuelles et de se masturber, que cela attise leur curiosité ou les amuse. Les filles ont plus tendance à regarder un film porno par hasard, ou à y être incitées par quelqu'un d'autre.