Jusqu'à très récemment encore, la fin de l'occupation israélienne sur les Territoires palestiniens, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, était une condition indépassable posée par la plupart des pays arabes pour reconnaître et dialoguer avec l'État d'Israël.
Mais cette exigence semble avoir perdu de son importance ces dernières années, alors que la situation des Palestiniens, elle, n'a pas fondamentalement changé. Et la semaine dernière, la signature d'un accord historique entre Israël et deux pays arabes a été vécue comme un "coup de poignard dans le dos" et vivement dénoncée en Palestine.
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Le tournant du 11-Septembre
Le politologue franco-libanais Antoine Basbous, qui dirige à Paris l'Observatoire des pays arabes, a récemment signé une tribune dans le quotidien Libération, expliquant en quoi ces récents accords signés à Washington "enterrent" la cause palestinienne.
Mais, selon lui, pour comprendre le déclin de cette union sacrée des pays arabe face à l'État hébreu, il faut remonter au 11 septembre 2001. Selon lui, après les attentats de New-York, les pays arabes ont pris peur de la réaction des États-Unis, après avoir été trop laxistes, voire complices, vis-à-vis du terrorisme islamiste et d'Al-Qaïda.
Depuis, la cause palestinienne a perdu de son importance au profit de la préservation des intérêts propres aux régimes en place dans les différents pays de la région.
Cette dynamique, analyse Antoine Basbous, s'est poursuivie avec la vague des "printemps arabes", puis l'apparition dans la foulée de Daech. Autant de menaces qui ont poussé ces régimes à penser avant tout à se maintenir au pouvoir, sollicitant même parfois l'aide des États-Unis et "oubliant" la cause palestinienne.
"Menace iranienne"
Le véritable changement de paradigme, selon certains spécialistes, est l'apparition d'un front commun contre l'Iran, érigé en menace absolue par les États-Unis, particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir du président Donald Trump.
Pour la Pr. Fatiha Dazi-Héni, spécialiste des monarchies de la péninsule arabique, depuis plusieurs années, les monarchies sunnites du Golfe ne cachent pas qu'Israël ne représente plus une menace ni un problème existentiel à leurs yeux, contrairement à l'Iran.
Selon la chercheuse, l'accord signé à Washington par Bahrein et les Émirats arabes unis "s'est surtout fait contre l'Iran". Il "formalise des relations sécuritaires" en ouvrant des canaux commerciaux sur l'armement.
En effet, "les pays ayant normalisés leurs relation avec Israël auront désormais accès à des armements qui leur étaient jusqu'à présent interdits par le Congrès américain".
Un "rapprochement contre-nature"?
Sébastien Amar, correspondant en Israël pour la RTS et France 2, estime que "dans le monde sunnite, il n'y a plus de soutien de la cause palestinienne. L'Égypte et la Jordanie sont liées par un accord de paix à Israël, tout comme le sont désormais les Émirats et Bahreïn". Et l'Arabie saoudite "envoie des signaux clairs depuis des années" dans le même sens.
Selon lui, paradoxalement, le soutien à la cause palestinienne provient désormais essentiellement du monde chiite, ce qui est "relativement contre-nature". En effet, constate Sébastien Amar, le Hamas (sunnite) à Gaza se rapproche de plus en plus du mouvement Hezbollah (chiite), lui-même soutenu depuis plusieurs années par l'Iran et le Qatar (pays à cheval entre les intérêts sunnites et chiites).
Selon le journaliste, il serait toutefois très étonnant qu'une véritable alliance puisse se conclure entre ces deux courants géopolitiques et religieux antagonistes.
"L'idée de cohabitation fait son chemin en Cisjordanie"
Auteur d'un livre sur la question, Stéphane Amar estime donc que la création d'un État palestinien en Cisjordanie est désormais vouée à l'échec.
En plus du déclin du soutien des autres pays arabes, il estime que la partition du territoire est aujourd'hui absolument impossible: "depuis la colonisation des territoires de Cisjordanie en 1967, les lieux, les identités et les populations sont complètement entre-mêlés. On ne peut plus faire passer une frontière nette, la Ligne verte tracée en 1949 ne signifie plus rien".
Par ailleurs, le correspondant assure que l'idée fait son chemin dans la réalité quotidienne, et que le niveau de vie en Cisjordanie s'est amélioré en parallèle au déclin de la violence. "Il y aura un État palestinien, mais ça sera à Gaza, qui est tenue par le Hamas et peuplée à 100% de Palestiniens. Il n'y a plus aucun Juif sur ce territoire depuis 2005. Il n'y aura pas d'État palestinien entre Gaza et la Cisjordanie", projette-t-il.
L'impossible "solution à deux États"
Les nuages s'amoncellent donc de plus en plus au-dessus de la cause palestinienne. "Les conditions de création d'un État se sont progressivement dégradées depuis les années 1960", analyse encore Antoine Basbous, "j'ai bien peur qu'au final, on dise aux Palestiniens d'aller gouverner la Jordanie, où ils sont majoritaires. En Cisjordanie, les ressources stratégiques, l'eau, les routes, ne sont plus à leur portée."
Dans tous les cas, l'éventuelle solution ne devrait pas émaner du plan proposé en février dernier par Donald Trump, rejeté en bloc par les Palestiniens.
Ce projet de "solution à deux Etats" proposait de créer une capitale palestinienne dans les faubourgs Est de Jérusalem, et traçait de nouvelles frontières qui intégraient une annexion définitive des colonies israéliennes ainsi que de la vallée du Jourdain en Cisjordanie, une zone occupée depuis 1967. L'accord prévoyait également des "échanges de terres" afin que l’État de Palestine puisse avoir "la même superficie que la Cisjordanie et Gaza avant 1967".
Sujet radio: Blandine Lévite
Adaptation web: Pierrik Jordan