Depuis désormais plusieurs mois, la jeunesse thaïlandaise se rassemble presque chaque fin de semaine avec ce cri de ralliement "Prayrut dehors!". Prayrut, soit le nom du Premier ministre thaïlandais, arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 2014, puis légitimé avec son gouvernement au cours d'un scrutin très controversé en 2019.
La colère des plus jeunes à l'égard de ce gouvernement d'anciens militaires est désormais visible. Ils exigent son départ mais aussi de nouvelles élections et appellent de leurs voeux une nouvelle Constitution qui offrirait moins de pouvoir à l'armée et des réformes majeures du système éducatif.
Un pays tourmenté par les inégalités
Pour Lek Bank, étudiant de 22 ans, il s'agit surtout d'essayer de réduire certaines inégalités: "Je suis là pour qu'on ait enfin une vraie démocratie. Une démocratie pour tous, pour le peuple et non plus réservée à quelques-uns, une sécurité sociale qui fonctionne, qui garantisse les soins pour tous et un système d'éducation de qualité pour chaque élève".
La Thaïlande est classée parmi les pays les plus inégalitaires du monde, avec 1% de la population qui possède le 70% des richesses, selon un récent rapport du Credit Suisse.
Le statut "divin" de la monarchie s'évapore
Mais l'aspect vraiment inédit de cette contestation est que les manifestants n'hésitent plus à s'en prendre à la monarchie, sujet tabou jusqu'à très récemment.
Pour Eugénie Meriau, chercheuse à l'Université nationale de Singapour, cela aurait été impensable il y a encore quelques année sous le règne précédent.
"Ce nouveau roi, qui est monté sur le trône il y a 4 ans, ne jouit pas de l'aura, du charisme, de l'image de demi-dieu qui entourait la figure de son père le roi Bhumibol, et donc toute une série de tabous qui entouraient la monarchie et la protégeaient des critiques sont tombés".
Le nouveau monarque, le roi Vajiralongkorn, est ouvertement polygame, vit la majeure partie de son temps en Allemagne et son manque de transparence dans la gestion des finances royales fait partie des sujets de mécontentement. Les manifestants lui reprochent aussi de tirer dans l'ombre les ficelles de la politique thaïlandaise.
"Pour eux, c'est le roi qui commande et les militaires qui sont ses fusibles et donc il fait sens de s'attaquer directement au roi plutôt que de tomber dans le schéma contre-productif de se focaliser uniquement sur l'armée", explique Eugénie Meriau.
Tous les gouvernements renversés depuis plus de 10 ans
Depuis 2006, tous les gouvernements élus ont été soit renversés par un coup d'Etat, soit dissous par la Cour constitutionnelle et remplacés par des gouvernements conservateurs proches de la monarchie.
Il y quelques jours, les manifestants ont décidé d'apposer sur le sol une plaque commémorative qui rappelait que la Thaïlande appartient à son peuple et non pas à son roi.
Mais cette remise en question d'une institution perçue encore par beaucoup comme le fondement même de l'identité thaïe ne fait pas l'unanimité. Dès le lendemain, la plaque avait déjà mystérieusement disparue.
Reportage radio: Carol Isoux
Adaptation web: Tristan Hertig