Jeudi et vendredi, l’Union européenne tient un sommet durant lequel elle traitera des tensions actuelles en Méditerranée orientale entre la Grèce et la Turquie. De possibles sanctions contre cette dernière sont possibles.
Mais que se disputent donc ces pays? Retour en histoire sur les origines de ces tensions qui pourraient mener à un conflit ouvert entre ces deux membres de l’OTAN.
Une Méditerranée difficile à partager
Lorsqu’un pays borde une mer ou un océan, celui-ci a droit d’en exploiter une partie. En 1982, "la Convention des Nations unies sur le droit de la mer" donne droit à une Zone Economique Exclusive (ZEE) équivalente à 12 miles (env. 370 km). Contrairement à une majorité de pays, la Turquie ne signe pas cette convention.
Or, la mer Méditerranée est un espace restreint, bordée par 23 Etats. Les zones maritimes de certains pays se chevauchent, et peuvent être à l’origine de tensions.
C’est le cas en mer Egée, où la Grèce possède nombre d’îles et revendique donc la quasi-totalité de la zone, ce qui offusque la Turquie. Cette dernière exige de la Grèce de ne pas dépasser une certaine distance autour de ses îles, sans quoi elle prendrait cela pour une atteinte directe à sa souveraineté et une déclaration de guerre.
Mais ce n’est pas tout. Au large de la Méditerranée orientale, la Grèce possède un atout de taille ; la petite île Kastellórizo, qui se situe à 2 km seulement des côtes turques. Grâce à elle, la Grèce peut revendiquer la zone maritime qui l’entoure. Ce découpage est considéré comme injuste par la Turquie, qui accuse la Grèce de tout faire pour l’enfermer à l’intérieur de ses rivages, et estime que la zone qui la sépare du territoire maritime libyen lui appartient.
De plus, la Turquie ne reconnaît pas l’indépendance de l’île de Chypre, dont un tiers est parrainé par elle. Elle conteste donc que les Chypriotes du sud s’octroient une partie de la Méditerranée orientale.
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À la conquête des gisements gaziers
Si ces conflits sont anciens, cela fait une décennie qu’ils ont repris de l’ampleur. En 2009 et 2010, une compagnie pétrolière découvre deux gisements gaziers dans la zone maritime d’Israël. En 2011, un troisième gisement, Aphrodite, est découvert au large de Chypre. En 2015, c’est au tour de l’Egypte de trouver le gisement Zohr, le plus grand jamais découvert en Méditerranée.
Face à ces multiples découvertes, les recherches se multiplient en Méditerranée orientale. Trouver un gisement d’hydrocarbures est une bénédiction pour un pays, qui peut assurer son autonomie énergétique et exporter son gaz, gagnant des alliés et des milliards de dollars.
Le 7 décembre 2017, Recep Tayyip Erdogan se rend en Grèce. Cette première visite d’un chef d’Etat turc depuis 65 ans ne calme pas les tensions entre les deux pays, au contraire. Le président turc remet en cause les frontières établies par le traité de Lausanne en 1923, et demande une révision de celles-ci. Refus catégorique de la Grèce.
Cela n’empêche pas la Turquie d’entamer des forages au large de Chypre. Temporairement suspendus, ils reprennent début août dernier.
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Jeu d’alliances
Devant ce regain de tensions, chaque camp cherche à se renforcer grâce à des alliances. De son côté, la Turquie conclut fin 2019 un accord avec le Gouvernement libyen d'union nationale (GNA) sur la délimitation de leurs espaces maritimes, ce qui lui permet de faire valoir des droits sur de vastes zones en Méditerranée orientale.
La Grèce a naturellement le soutien de l’Union européenne, notamment de la France. Début 2020, elle signe un accord gazier avec Chypre et Israël prévoyant la construction d’un gazoduc qui relierait les trois pays. En août, elle en signe un autre avec l’Egypte pour délimiter leurs frontières maritimes.
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Regain de tensions cet été
Le 10 août dernier, la Turquie envoie un navire de recherche sismique, l'Oruç Reis, accompagné d’une flottille militaire, dans une zone revendiquée par la Grèce. Cette dernière considère cela comme une agression et entame des manœuvres militaires avec le soutien de la France, qui déploie des navires de guerre et des avions de combat dans la région.
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Le 14 août, la Turquie signe un nouvel accord maritime contesté avec le gouvernement de Tripoli, en Libye. Le 22 août, elle annonce avoir trouvé un important gisement de gaz naturel en mer Noire.
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Fin août, les manœuvres grecques et turques s’intensifient. Ankara annonce la prolongation de la mission de son navire sismique Oruç Reis, ce à quoi l’Union européenne répond par une menace de sanctions.
Joutes verbales entre Erdogan et Macron
Parallèlement aux manœuvres militaires, le conflit est aussi verbal. Les dirigeants turcs et grecs multiplient les discours menaçants. La France se mêle aussi au conflit.
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Son président Emmanuel Macron exhorte l'Europe à se montrer "unie et ferme" face à la Turquie. Recep Tayyip Erdogan accuse quant à lui la France de se comporter en "caïd" en Méditerranée et assure qu’il ne reculera devant aucune sanction.
Apaisement à l’approche du sommet européen
Le 12 septembre, la Grèce annonce un "important" programme d'achats d'armes, notamment de 18 avions de combat français Rafale.
Quelques jours plus tard, Erdogan annonce avoir rapatrié l'Oruç Reis pour faciliter le dialogue avec son voisin, sans pour autant renoncer à ses droits dans la zone.
Le 22 septembre, la Turquie et la Grèce annoncent qu'elles vont entamer des "pourparlers exploratoires" sur leurs différends en Méditerranée orientale, renouant le dialogue pour la première fois depuis 2016.
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Mardi 29, le Secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo, en visite en Grèce, affirme que les Etats-Unis soutiennent fortement la reprise du dialogue entre ces deux pays de l’OTAN.
Le 1 et 2 octobre, un sommet européen traitera de ces tensions en Méditerranée orientale, du retour des négociations ou, à défaut, de possibles sanctions contre la Turquie.
Mouna Hussain
Tensions au-delà de la Turquie et Grèce
Si la Grèce, la Turquie et Chypre sont actuellement les principaux pays à s’affronter en Méditerranée orientale, les tensions dues aux gisements d’hydrocarbures s’étendent à d’autres pays.
Ainsi, le Liban et Israël, qui sont toujours officiellement en guerre, ne sont pas d’accord sur leurs frontières maritimes, ce qui crée de vives tensions alors qu’un gisement de gaz a été découvert dans la zone disputée. Des négociations entre les deux pays échouent en 2013.
La délimitation des zones maritimes est aussi disputée entre Israël et les territoires palestiniens. L’Egypte et la Libye sont également des acteurs phares dans cette course aux gisements en Méditerranée.