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Manque de devises étrangères, une crise alimentaire se profile à Cuba

Un homme attend de recevoir de la nourriture dans un panier de rationnement à La Havane. Cuba, le 21 septembre 2020. [Keystone/epa - Yander Zamora]
Un homme attend de recevoir de la nourriture dans un panier de rationnement à La Havane. Cuba, le 21 septembre 2020. / Tout un monde / 4 min. / le 9 octobre 2020
Avec la pandémie, plutôt bien contenue à Cuba, et la fermeture des frontières au tourisme, l'économie cubaine manque cruellement de devises étrangères: de l'argent nécessaire pour payer son alimentation, importée à 70%. Le pays subit aussi des sanctions accrues imposées par Donald Trump.

La Havane a perdu son habituelle musique et sans les touristes l'ambiance est assez morose.

Depuis avril dernier, Cuba a fermé ses frontières au tourisme pour lutter contre le coronavirus. Mais le tourisme est le secteur moteur de l'économie de l'île: il rapporte plus de trois milliards de dollars par an.

Petit à petit, La Havane se déconfine. Alors Yayma de Olivera a rouvert son petit magasin de souvenir, même s'il n'y a pas encore de touristes: "C'est catastrophique! Cela fait sept mois que nous ne travaillons pas! Et nous, nous sommes particulièrement affectés parce que nous travaillons dans le secteur privé et nous dépendons à 100% du tourisme pour nos ventes".

Les travailleurs du secteur privé cubain n'ont en effet reçu aucune aide de l'Etat durant la pandémie, alors la majorité vit de ses économies qui se réduisent comme peau de chagrin. Tout comme celles de l'Etat.

Importantes pénuries

Le gouvernement a dépensé plus de 42 millions de dollars pour lutter contre le Covid-19. Une bataille relativement bien menée, en comparaison à ses voisins latino-américains. A ce jour, quelque 5900 personnes ont été contaminées à Cuba et 123 décès ont été enregistrés.

Mais la pandémie a porté un coup dur à l'économie du pays qui survit depuis des mois avec d'importantes pénuries.

Le paysage cubain est désormais fait de files d'attente, comme celle où se trouve Teudice Hernandez, qui porte un grand masque en tissu qui lui cache presque tout le visage: "Oui, il y a des problèmes économiques, des blocages mais ça c'est à cause du coronavirus et c'est dans le monde entier. Mais pour nous, c'est plus dur parce que nous avons un double blocus: le coronavirus et le blocus américain!"

Des gens attendent pour acheter de la nourriture à La Havane, le 1er septembre 2020. [Keystone/epa - Yander Zamora]
Des gens attendent pour acheter de la nourriture à La Havane, le 1er septembre 2020. [Keystone/epa - Yander Zamora]

Economie asphyxiée

Les difficultés économiques du pays sont effectivement antérieures à la pandémie et s'expliquent en partie aussi par les sanctions américaines.

Le gouvernement cubain dénonce l'asphyxie de son économie par l'administration de Donald Trump, qui tente d'entraver les trois principales entrées de devises dans le pays: l'exportation de services médicaux, l'argent de la diaspora et le tourisme.

Une situation inédite: "Nous sommes dans une situation de restrictions financières comme nous n'en avons jamais connues, à cause d'une persécution des Etats-Unis, qu'aucun pays dans le monde n'a jamais subie", explique l'économiste Juan Triana: "Et en plus de ça, il y a des failles structurelles de notre système qui n'ont jamais été résolues!"

Avec le coronavirus, les sanctions américaines et les difficultés structurelles de l'économie communiste cubaine, l'Etat manque de liquidités et a réduit drastiquement ses importations. 80% de l'alimentation consommée à Cuba est importée et l'agriculture de l'île est peu productive; le quotidien des Cubains est désormais constitué de pénuries et de manque.

Viande, huile, produits d'hygiène et de ménage, tout fait défaut et Cuba distribue au compte-gouttes les quelques produits d'importation qui sont rationnés.

Ce magasin de La Havane dit ne pas accepter les pesos convertibles cubains (CUC), mais demande des dollars américains. Cuba, le 14 septembre 2020. [AFP - Yamil Lage]
Ce magasin de La Havane dit ne pas accepter les pesos convertibles cubains (CUC), mais demande des dollars américains. Cuba, le 14 septembre 2020. [AFP - Yamil Lage]

Dans cet autre magasin, s'il n'y a pas beaucoup d'attente, c'est sans doute parce qu'il n'y a pas beaucoup d'offres...

Mercedes Moreno Agueyo, une petite dame marchant le dos voûté n'a attendu "que" trente minutes avant de pouvoir faire ses courses: "Parfois la queue est très longue! C'est selon la qualité du produit qu'ils vendent: si c'est du poulet, c'est plus compliqué, si c'est de l'huile, encore pire! Aujourd'hui il y a du formage et du jambon… Il y avait quelques produits: pas beaucoup, mais il y a toujours un petit quelque chose".

La suprématie du dollar et de l'euro

Cette dame, qui travaille dans une bodega, assure qu'ici, à Cuba, personne ne meurt de faim. En effet, les bodegas sont ces magasins subventionnés par l'Etat, où l'on distribue à très bas prix, via le carnet de rationnement, une certaine quantité de nourriture.

Cela ne couvre pas tous les besoins des familles, mais c'est une aide non négligeable, que le gouvernement a toujours maintenue malgré les crises. Mais aujourd'hui l'Etat est en manque urgent de devises.

Alors l'une des solutions c'est l'ouverture de nouveaux magasins, uniquement accessibles aux Cubains possédant un compte bancaire sur lequel ils déposent des dollars ou des euros.

Ces magasins sont mieux achalandés: "Dans les magasins en monnaie cubaine tu ne trouves rien. Ici, tu fais la queue, mais au moins il y a quelques produits", constate Léonardo.

Tous les Cubains n'ont pas accès à ces magasins, ce qu'ils trouvent injuste, mais c'est une des solutions trouvées par l'Etat pour récupérer des monnaies fortes dans ses caisses.

Pour faire face à la crise, le gouvernement tente de mettre en place toute une série de mesures parmi lesquelles la dollarisation partielle de son économie, ainsi qu'une chasse au marché noir et aux illégalités.

Un grand plan de souveraineté alimentaire a également été annoncé, mais d'ici à en voir les effets, les Cubains patientent encore dans les files d'attente pour se nourrir.

Domitille Piron/sjaq

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