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Exécutions, drones militaires, le combat d’une experte de l’ONU

Agnès Callamard, rapporteure spéciale de l’ONU.
Agnès Callamard, rapporteure spéciale de l’ONU.
Rapporteure spéciale de l’ONU, la Française Agnès Callamard enquête sur les exécutions dites extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Elle a témoigné devant le Conseil des droits de l’homme à Genève. Elle est invitée à prendre la parole à l’Assemblée générale de l’ONU le 27 octobre. Elle nous dit ici les thèmes qu’elle va aborder : l’usage de plus en plus fréquent des drones, comme lors de l’exécution du général iranien Qassem Soleimani par les Américains, ou en ce moment dans le conflit du Caucase. Elle abordera aussi l’affaire Jamal Khashoggi, assassiné au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Par Luisa Ballin

Quel message souhaitez-vous faire passer lorsque vous prendrez la parole à l’Assemblée générale de l’ONU ?

Mes messages sont liés aux rapports thématiques que j’ai écrits. Un de ces rapports porte sur l’existence des charniers à travers le monde et du fait qu’il n’y ait pas de réponse internationale à cette question, pas de politique, pas de véritable gestion. Les autres messages porteront sur le travail que je fais sur le cas de Jamal Khashoggi et d’une manière générale sur les assassinats ciblés. C’est dans la suite du rapport que j’ai présenté en juin dernier.

Agnès Callamard, rapporteure spéciale de l’ONU.
Agnès Callamard, rapporteure spéciale de l’ONU.

Vous voulez parler de l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani ?

Oui, mais je ne veux pas en faire un cas en soi. Pour moi le sujet n’est pas celui du général Soleimani. C’est un problème de politique multilatérale sur l’utilisation d’une arme, le drone, qui n’est l’objet d’aucune régulation spécifique. Les drones sont des armes de plus en plus utilisées à des fins militaires, comme on le voit dans le conflit qui oppose l’Azerbaïdjan à l’Arménie, par exemple. On le voit aussi en Libye, où il y a une véritable guerre de drones. Les drones ne sont plus seulement une arme de "contre-terrorisme" en quelque sorte et ils ne font l’objet ni de traités ni de conventions.

Vous continuez d’enquêter sur le meurtre de Jamal Khashoggi, torturé, tué et démembré au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en Turquie le 2 octobre 2018. Le procès de ses assassins présumés qui a lieu en Turquie est-il plus important que celui qui s’est tenu en Arabie saoudite ?

Il n’est pas plus important. Le procès en Arabie saoudite, qui a commencé en janvier 2019 et qui s’est terminé en septembre 2020, a eu lieu à huis clos. L’identité des accusés n’a pas été rendue publique. C’est un procès qui n’a pas permis, ou pas voulu, mettre l’accent sur les responsabilités de l’Etat saoudien dans ce crime. C’est un procès qui n’a pas pu inclure les responsabilités des commanditaires, de ceux qui ont ordonné le crime ou qui l’ont incité. Le procès qui a eu lieu en Arabie saoudite est pour moi plus qu’une occasion perdue, c’était une parodie ! C’est pour cela que par rapport à ce qui s’est passé en Arabie saoudite, le procès en Turquie, qui se tient de façon ouverte et transparente, permettra de mettre en avant de nombreuses informations liées aux responsabilités de hauts fonctionnaires et des hauts représentants de l’Etat saoudien. Et pas seulement la responsabilité des hommes de mains comme l’a fait l’Arabie saoudite.

Peut-on, à ce stade, connaître le ou les commanditaires de ce crime ?

Au vu de la façon dont l’Etat saoudien fonctionne, au vu de ce que j’ai trouvé sur la nature du crime, son organisation, il est évident que des personnes très haut placées au sein de l’Etat saoudien étaient impliquées. La CIA a laissé entendre, de façon plus ou moins directe, que la responsabilité de Mohammed ben Salmane était engagée. Nous n’avons pas de preuves matérielles de cette responsabilité. Nous avons des éléments de preuve circonstancielle et c’est bien pour cela d’ailleurs qu’il serait très important que le directeur des renseignements américains rende public le rapport qui a été demandé par le Congrès des Etats-Unis sur les responsabilités de Mohammed ben Salmane. Je dirais qu’au niveau circonstanciel, il ne fait aucun doute que la responsabilité du quasi chef de l’Etat saoudien est engagée. Est-ce lui qui a ordonné le crime ou qui l’a incité ? Est-ce lui qui n’a pas pris ses responsabilités pour l’empêcher ? Il y a là matière à discussion. Sa responsabilité est directement engagée sur la base de ce qui a été avancé par d’autres personnes. Il est probable qu’il fasse partie de la chaîne de commandement.

Vous dirigez par ailleurs le programme Global Freedom of Expression à l’Université de Columbia de New York. La liberté d’expression est-elle menacée aux Etats-Unis et dans d’autres pays ?

Cela ne faut aucun doute. Le travail effectué par des organisations telles que "Article 19", Reporters sans frontières et d’autres montre que l’évolution n’est pas positive en ce qui concerne la liberté de la presse et la liberté d’expression. Le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression David Kaye - qui n’est plus Rapporteur spécial depuis le mois d’août dernier – soulignait en particulier l’impact négatif des mesures anti-Covid sur la liberté d’expression partout dans le monde.

Des pays utiliseraient la pandémie du coronavirus pour limiter la liberté d’expression ?

Oui, de nombreux pays utilisent le Covid comme une justification pour réprimer ou pour criminaliser certaines formes d’expression, particulièrement celles qui sont critiques à l’égard des politiques que les gouvernements peuvent mener. La situation à l’heure actuelle est difficile, à la fois en raison du Covid-19 et à la fois en raison de la montée du populisme et du fait que l’espace de communication soit de nos jours extrêmement privatisé. On s’oriente de plus en plus vers des situations de censure d’origine privée ou commerciale. Des Etats, tels que la Chine, jouent un rôle de plus en plus important dans l’espace multilatéral et ils tendent à imposer leur point de vue. Si je considère les mesures ponctuelles et les restrictions qui existaient déjà, oui, je pense en effet que la liberté d’expression est mise à mal. Or, elle est essentielle à la démocratie et elle contribue au bien-être de la société.

Pour consulter la lettre:

La lettre internationale de Genève Vision du 10 octobre

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