Nom, prénom, adresse, lieu d’origine, occupation… Les prétendants au Coronavac, le vaccin développé par la firme chinoise Sinovac, noircissent consciencieusement le long formulaire distribué par des infirmières en blouse blanche. Ils sont une trentaine à s’être inscrits sur la liste d’attente de cette clinique du centre de Jiaxing. Tous s’engagent par écrit à signaler les éventuels symptômes suspects susceptibles de survenir dans les semaines ou les mois à venir.
Employée d'une grande entreprise chinoise au Kenya, Madame Wang est rentrée au mois de juillet dernier, lorsque les autorités ont inauguré cette campagne de "vaccination d’urgence". Les étudiants, les travailleurs en partance pour l'étranger mais aussi les employés exposés à un risque de contamination peuvent bénéficier, en exclusivité, de produits expérimentaux.
"J'ai confiance dans ce vaccin"
"Je repars le mois prochain. Je suis rentrée exprès pour le vaccin. Je n'ai pas le choix, c'est dangereux à l'étranger (...) d'après ce que je sais, il y aura deux injections avec au moins 14 jours d'intervalle, mais ils recommandent d'attendre 28 jours. Mon corps devrait ensuite fabriquer des anticorps et ça devrait aller."
Trois à trois, les candidats défilent devant les postes dressés au fond de la salle. Calés sur des sièges aux larges accoudoirs, chacun reçoit sa première dose. Mme Wang, sereine, attend son tour. Le sérum non-homologué a beau être inoculé hors essai clinique, elle n’est pas inquiète:
"J'ai confiance. Après de longs tests, le vaccin en est au dernier stade des essais. Plusieurs de mes amis travaillent pour des entreprises d'Etat. On leur a donné le vaccin il y a plusieurs mois et j'ai constaté qu'ils sont toujours en bonne santé.
Bientôt disponible pour le grand public
Pékin développe actuellement quatre des onze vaccins ayant atteint la troisième et dernière phase des essais cliniques. L'épidémie étant maîtrisée en Chine, l'expérimentation se déroule dans une dizaine de pays étrangers dont le Brésil, l'Indonésie, le Pakistan, la Turquie ou encore l'Egypte.
Pour l'heure, aucun effet indésirable grave n’a été constaté, assurent les responsables chinois. Une performance dont se félicite le docteur Chen. "En tant que Chinois, nous sommes très fiers. Cela va permettre de prévenir la maladie! Les attentes du public sont énormes. Ces résultats nous encouragent à procéder ainsi. Moi-même, je l'ai pris. La priorité a été donnée aux équipes médicales, on l'a ensuite élargie aux personnes à haut risque. Pour le grand public, on espère offrir cette possibilité dès le début du mois prochain".
Entre enthousiasme et prudence
Cette approche téméraire, beaucoup souhaitent en profiter. Fraîchement vacciné, Guoqing, étudiant au Royaume-Uni, déroule la manche de sa chemise, soulagé et contrarié à la fois: pour respecter le calendrier de vaccination, il a dû reporter son vol prévu la semaine prochaine. "Je ne comprends pas pourquoi on doit attendre deux semaines entre les injections. Un de mes camarades de classe a reçu les deux doses en un jour: une dans le bras droit, l’autre dans le bras gauche. Et il est déjà parti à l’étranger."
Cet enthousiasme ne fait toutefois pas l’unanimité. Trois étages plus bas, devant l’entrée du bâtiment, le docteur Zhang est en pause. Cigarette entre les doigts, il exprime ses réserves. "Ils disent que c’est sûr, mais je n’en suis pas convaincu. Notre unité nous a proposé de nous faire vacciner, mais j’ai décliné. Le produit n’est pas homologué, alors je ne sais pas." Même en cas de validation et de commercialisation, le médecin pourrait choisir de s’en passer: "ça dépendra de l’épidémie. Si ça repart, peut-être. Mais si la situation s’améliore, ce ne sera pas nécessaire."
Plusieurs passants à Jiaxing déclarent partager le pragmatisme du docteur Zhang. Les autorités pourraient pourtant passer à la vitesse supérieure. La vaste "campagne d’urgence" menée ces derniers mois est annonciatrice d’un large déploiement ces prochaines semaines. Pékin affirme être en mesure de produire 610 millions de doses d’ici à la fin de l’année. Dans la course effrénée au vaccin, la Chine espère bien franchir la première la ligne d’arrivée.
Michael Peuker/ther