Le candidat démocrate Joe Biden est aux portes de la Maison Blanche, notamment grâce à des victoires précieuses dans deux Etats-clés, le Michigan et le Wisconsin. En raison de l'écart serré dans ce dernier Etat (moins de 1%), l'équipe de Donald Trump a réclamé un recomptage des suffrages et demandé à un juge local de réexaminer les bulletins déjà comptés.
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Les équipes de l'actuel locataire de la Maison Blanche ont par ailleurs saisi la Cour suprême des Etats-Unis pour lui demander l'autorisation de se joindre à une plainte du Parti républicain en Pennsylvanie, dont les résultats ne sont pas encore connu, contestant la prise en compte de bulletins envoyés par voie postale le jour du scrutin, mardi.
Donald Trump avait rapidement menacé, dans la nuit de mardi à mercredi déjà, de saisir la plus haute instance judiciaire des Etats-Unis, car il remet en doute le résultat de l'élection, qualifiant de "très étrange" le renversement de situation dans plusieurs Etats.
Cour suprême
Or, la Cour suprême fédérale n'est pas directement compétente en la matière. En cas de litige, et comme le précise l'article 1.4 de la Constitution américaine, c'est la loi de l'Etat qui régit les aspects du processus électoral. Par conséquent, en cas de contestation, ce sont les tribunaux d'Etat qui sont saisis en premier lieu.
En 2000, l'incertitude provenait de la seule Floride: l'élection présidentielle s'y est finalement jouée à 537 voix, sur les presque six millions de bulletins de vote reçus sur tout le territoire américain. Le président n'a pu être désigné que plus d'un mois après l'élection du 7 novembre.
Mais cette année, plusieurs résultats d'Etats-clefs pourraient être remis en cause par l'un ou l'autre des candidats, ce qui promettrait d'âpres batailles juridiques. La loi précise encore que "la décision de l'Etat sera concluante" et que l'Etat déterminera ainsi seul quel candidat remporte ses grands électeurs.
Seules exceptions pour que la contestation remonte à l'échelon supérieur de la Cour suprême, il faut une allégation selon laquelle les droits constitutionnels fédéraux – par exemple le droit à une procédure régulière, à une égale protection devant la loi, quelle que soit sa couleur de peau, sa religion ou son genre – ont été violés.
En 2000, par exemple, la campagne de George W. Bush avait pu saisir la Cour suprême en alléguant que les tribunaux de Floride avaient violé la clause d'égalité de protection en permettant le recomptage manuel des votes jusqu'à huit jours après la date limite légale de l'Etat pour la certification des résultats.
Le discours de concession
Quoi qu'il en soit, même une décision de la Cour suprême n'est pas forcément définitive, car ce qui protège la démocratie américaine n'est pas inscrit dans la Constitution, ni dans la loi, remarque l'avocat et commentateur politique Van Jones: "Il s'agit juste d'une petite tradition, d'un geste volontaire: le discours de concession. C'est cette adresse publique qui est la plus importante pour la santé et le bien-être de notre nation".
Quand l'équipe du perdant constate que son candidat n'obtiendra pas suffisamment de voix au Collège électoral, elle lui demande d'aller devant le pays et de dire: "J'admets ma défaite volontairement", ce qu'Al Gore avait fini par faire en 2000, plus d'un mois après l'élection du 7 novembre.
Mais si personne ne s'avoue perdant, les élites travaillent en coulisses et se battent férocement sur le plan juridique, en bloquant par exemple le comptage de millions de voix, notamment des votes par correspondance, avec des poursuites judiciaires à tous les niveaux.
"Saviez-vous qu'un candidat présidentiel peut perdre le vote populaire, ne pas avoir une majorité au niveau du Collège électoral, refuser de concéder sa défaite et manipuler des mécanismes cachés dans notre gouvernement et tout de même être assermenté président des Etats-Unis?", s'étonne l'avocat dans une vidéo publiée le 26 octobre.
"Comme si l'élection n'avait jamais eu lieu"
Car en cas de désaccord complet et si personne ne reconnaît les décisions de justice, c'est la Chambre des représentants qui se saisit du problème, comme ce fut le cas en 1824 quand la chambre basse a désigné John Quincy Adams comme président: "Et ils n'ont pas besoin de regarder ce qui s'est passé au niveau du vote populaire ou du Collège électoral: c'est comme si l'élection n'avait jamais eu lieu!", souligne Van Jones.
"Et ce ne sont même pas les élus qui prennent la décision finale, ce sont des délégations: les individus du Congrès ne votent pas. Le choix est fait par Etat. Et c'est là que ça devient encore plus fou!", remarque l'expert. La Constitution prévoit en effet que les députés votent en tant que délégation des États – c'est-à-dire avec une seule voix par Etat – et que le vainqueur doit obtenir une majorité simple (article II, section 1, clause 3 de la Constitution).
Or, en 2020, si la majorité des Américains vit dans des Etats démocrates, il y a plus d'Etats républicains: "Donc il y a une possibilité que les républicains de la Chambre des représentants donne l'onction présidentielle à leur candidat, sans prendre en compte le vote populaire ou la majorité des voix du Collège électoral".
Et, selon lui, ceci peut être appelé "un coup d'Etat parfaitement légal et constitutionnel contre l'idée même de la règle majoritaire aux Etats-Unis: ceci est possible avec notre Constitution actuelle et cela peut arriver cette année", insiste-t-il: "La démocratie est fragile".
Stéphanie Jaquet, Victorien Kissling et les agences