Le candidat démocrate et ancien vice-président de Barack Obama a été donné vainqueur avec 273 grands électeurs, grâce à un succès dans l'Etat-clé de Pennsylvanie, selon les chaînes CNN, NBC et CBS. Il va ainsi devenir le 46e président des Etats-Unis, et marquera une véritable rupture après quatre années de présidence de Donald Trump.
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À 77 ans, Joe Biden va devenir le président le plus âgé jamais élu aux États-Unis. Mais derrière les cheveux blancs, une fatigue physique parfois apparente et les quelques balbutiements et hésitations qui lui ont souvent valu les railleries de ses adversaires, le président-élu peut se targuer d'une immense expérience. Un bagage qui lui a certainement permis de conserver une certaine force tranquille et une sagesse dans une campagne d'une rare violence, au sein d'un pays plus divisé que jamais.
Au total, malgré la pandémie, la participation a atteint un niveau record dans l'ère moderne: environ 66% des électeurs ont voté, selon le US Elections Project. Joe Biden a obtenu plus de 74 millions de voix, contre 70 millions pour Donald Trump. Si ce "vote populaire" n'a techniquement pas de valeur dans le système électoral américain, il renforce souvent la légitimité politique du président.
Près de 50 ans de carrière politique
Né dans une famille de classe moyenne, Joe Biden a dû combattre, étant jeune, un bégaiement durant sa scolarité. Il dit s'être alors inspiré de l'éloquence et des convictions d'hommes s'évertuant de changer son pays, à l'image de Martin Luther King et John Fitzgerald Kennedy. Investi en politique depuis l'âge de 30 ans, il devient en novembre 1972 le cinquième plus jeune sénateur de l'histoire des États-Unis suite à son élection dans le Delaware. Il sera ensuite réélu à six reprises, jusqu'à céder son poste en accédant à la vice-présidence en 2008.
Avant 2020, Joe Biden avait tenté à deux reprises de conquérir la Maison Blanche. En 1988, il se présente à la primaire démocrate, mais doit jeter l'éponge après avoir été épinglé par son adversaire pour diverses exagérations et le plagiat, durant sa campagne, du discours d'un leader travailliste anglais. Après plusieurs sollicitations de son parti, il repart au combat en 2008, mais se heurte à deux candidats plus forts que lui, Hillary Clinton et Barack Obama.
Ce dernier le choisira pour figurer sur son ticket et l'assoit sur le fauteuil de vice-président. Discret dans sa fonction, dans l'ombre d'un Obama très médiatique, Joe Biden n'en a pas moins noué une relation de confiance avec le président. Il sera donc très logiquement choisi pour un deuxième mandat de vice-président en 2012.
En 2016, à nouveau meurtri par le récent décès de son fils Beau d'un cancer du cerveau (il a perdu sa première femme et sa fille de 13 mois dans un accident de voiture en 1972), il renonce à se lancer dans la course, laissant ce soin à Hillary Clinton, qui sera battue par Donald Trump. Mais en 2020, Joe Biden n'aura pas laissé sa chance.
Candidature tournée vers la famille et les travailleurs
Durant toute cette campagne, ses détracteurs ont critiqué un candidat "par défaut", faute d'autres figures de valeur dans son parti. Reste que, s'il base en effet l'essentiel de son soutien et de sa popularité sur la base démocrate, notamment chez les électeurs plus âgés et "modérés", il aura écarté sur sa route, entre autres, l'influent sénateur Bernie Sanders.
Durant la primaire, face à ses adversaires principaux Bernie Sanders et Elizabeth Warren, bien plus à gauche, l'ancien vice-président a tenu à se présenter en candidat réaliste, soucieux de répondre aux préoccupations de la classe moyenne. Il aura ensuite su fédérer presque tout le camp démocrate autour de sa candidature de combat contre Donald Trump, basée essentiellement sur la défense de la famille et des travailleurs.
Le pari a manifestement payé. Joe Biden a notamment repris à Donald Trump trois Etats industriels de la fameuse "Rust Belt" (litt. "ceinture de rouille", autour de la région des grands lac) qui avaient échappé à Hillary Clinton il y a quatre ans: le Michigan, le Wisconsin ainsi que, au bout du suspense, la Pennsylvanie, "le coeur de cette nation", a-t-il estimé vendredi soir.
Malgré tout, la pandémie de coronavirus ainsi que les émeutes qui ont suivi la mort de l'Afro-Américain George Floyd durant une intervention policière, deux crises que Donald Trump a eu toutes les peines du monde à gérer en 2020, ont certainement permis au démocrate de passer l'épaule.
Plusieurs "erreurs" admises
Si Joe Biden est principalement connu pour avoir été le vice-président du progressiste Barack Obama, son parcours politique n'en est pas moins parsemées de décisions houleuses. Dans les années 1970, pour satisfaire les électeurs du Delaware, il s'oppose notamment à la politique gouvernementale dite de "busing", qui organise le transport en bus d'enfants noirs dans des écoles à majorité blanche pour favoriser la mixité. Sa future vice-présidente Kamala Harris l'avait épinglé à ce sujet lors des primaires démocrates.
En 1991, en tant que président de la puissante commission judiciaire du Sénat, Joe Biden supervise le processus de confirmation du juge Clarence Thomas à la Cour suprême lorsque émergent des accusations de harcèlement sexuel à l'encontre du magistrat. Il organise alors une audition télévisée de son accusatrice, Anita Hill, qui tourne au fiasco: la professeure de Droit est malmenée par un panel exclusivement masculin, qui questionnent sa crédibilité. Il s'en est depuis excusé.
Trois ans plus tard, il rattrape une partie du crédit perdu en étant à l'origine d'une loi contre les violences faites aux femmes. C'est la loi dont il se dira rétrospectivement "le plus fier". Mais celle-ci n'est qu'un volet de sa réforme beaucoup plus large de la justice pénale qui marque un consensus entre les partis sur une approche très répressive.
Cette "loi sur le crime" de 1994 est aujourd'hui jugée responsable de l'explosion du nombre de détenus aux Etats-Unis mais aussi de la surreprésentation des Afro-Américains dans les prisons, car elle punissait particulièrement sévèrement les utilisateurs de crack, davantage consommé dans les quartiers pauvres. "C'était une erreur", a-t-il également reconnu lors d'un débat.
Enfin, en 2002, alors qu'il préside la commission des Affaires étrangères du Sénat, il vote pour autoriser la guerre en Irak, après avoir organisé l'audition de nombreux témoins qui ont laissé croire - à tort - que le régime de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Il a, là encore avec le recul, admis une "erreur".
RTSinfo/jop avec agences
Joe Biden en bref
Nom: Joseph Robinette Biden, dit Joe Biden
Age: 77 ans. Né le 20 novembre 1942 à Scranton, Pennsylvanie, dans une famille de quatre enfants.
Statut civil: marié depuis 1977 avec Jill Tracy Jacobs. Ancienne conjointe: Neilia Hunter, décédée dans un accident de voiture en 1972.
Enfant(s): quatre, deux garçons et deux filles, Beau (1969-2015, décédé d'un cancer), Hunter (1970), Naomi Christina (1971-1972, décédée en même temps que sa mère) et Ashley (1981)
Parti: démocrate
Religion: catholique
Parcours professionnel: diplômé en droit à la faculté de l'université de Syracuse en 1968, puis avocat et professeur de droit à Wilmington.
Fonction politique: sénateur du Delaware entre 1973 et 2009, vice-président entre 2009 et 2017.
Drame familial
Mais avant d'être politique, son histoire est tout d'abord celle d'une tragédie. Connu pour sa bonhomie au quotidien, le démocrate n'en a pas moins vécu un drame familial tragique il y a quatre décennies.
Juste avant Noël 1972, sa femme et sa fille de 13 mois sont tuées dans un accident de voiture, percutées par un chauffard ivre. Ses deux fils sont grièvement blessés. Il les élève ensuite seul puis se remarie en 1977, avant d'avoir une nouvelle fille.
Pour la première fois de ma vie, j'ai compris comment quelqu'un pouvait consciemment décider de se suicider
Ce deuil intervient alors que Joe Biden, jeune père de famille âgé de 30 ans, vient de se tourner vers la politique, au sein du Parti démocrate, et a été élu un mois auparavant sénateur du Delaware. Miné par le chagrin, Joe Biden s'investit dans la politique et, durant les premiers mois, il fait la navette entre Washington et la chambre d'hôpital de ses fils.
Kamala Harris, la diversité au gant de fer à la Maison Blanche
Mi-août, Joe Biden a choisi la sénatrice Kamala Harris comme colistière. Cette ancienne procureure et fille d'immigrés, fille d'un père jamaïcain et d'une mère indienne, est alors devenue la première femme noire sur un ticket présidentiel dans l'histoire des Etats-Unis.
Elle deviendra donc également la première femme ainsi que la première personne Afro-américaine à accéder à ce poste. La consécration d'une carrière hors normes. A 56 ans, la dynamique et pugnace sénatrice de Californie a permis à Joe Biden d'engranger les voix d'un électorat plus divers qui avait soif de se voir mieux représenté au sommet du pouvoir. Pendant la campagne, elle a appelé sans relâche à une mobilisation historique des femmes et des minorités.
"Pourquoi croyez-vous que tant de gens puissants (...) essayent de vous empêcher de voter", a-t-elle demandé en Géorgie, l'un des Etats-clés de l'élection. "Ils connaissent votre pouvoir", a-t-elle répondu. "Ne laissez personne vous mettre hors-jeu."
Mais son passé de procureure pèse aussi contre elle. Des électeurs noirs et progressistes déplorent sa réputation de dureté, notamment en punissant strictement de petits délits qui ont, selon ses détracteurs, affecté surtout les minorités.
Malgré cela, forte d'un parcours brillant, digne du meilleur rêve américain malgré des chapitres controversés, elle caresse sans aucun doute toujours l'espoir de devenir, dans un futur plus ou moins proche, de briser l'ultime plafond de verre en devenant la première femme présidente noire des Etats-Unis.
Malgré ses attaques virulentes contre Joe Biden lors de la primaire démocrate, son expérience dans les branches législative, judiciaire et exécutive du pouvoir, et sa proximité avec Beau Biden, fils de Joe et ancien procureur du Delaware décédé en 2015, ont convaincu son ex-rival de la choisir comme colistière.
Jill Biden, première dame moderne et rassembleuse
Jill Biden, compagne du président-élu, s'est amplement impliquée dans la campagne de son mari, grâce à ses discours optimistes et une vigueur semblant parfois dépasser celle de son époux. Cette enseignante de 69 ans a multiplié les visites dans les Etats-clés, essentiels à la victoire démocrate.
Son discours se veut essentiellement rassembleur, et appelle tous les Américains, "démocrates et républicains, ruraux et urbains", à dépasser les clivages politiques, battre la pandémie et la crise économique.
"Nous ne sommes pas d'accord sur tout, ce n'est pas nécessaire, on peut toujours s'aimer et se respecter", affirme-t-elle dans un discours aux antipodes des diatribes du président sortant Donald Trump.
Elle aura aussi permis de révéler une image plus intime de Joe Biden, dont la vie a été frappée par des "tragédies inimaginables". Elle a notamment raconté, durant la campagne, comment l'ancien vice-président de Barack Obama avait trouvé la force de reprendre ses activités à la Maison Blanche, quelques jours seulement après la mort de son fils Beau.
Jill Biden avait interrompu sa carrière lorsqu'elle avait eu leur fille, Ashley, en 1981, mais avait ensuite repris ses études pour décrocher un doctorat en éducation. Elle enseigne toujours dans une université du nord de la Virginie, près de Washington, où elle veut continuer à travailler sous la présidence de Joe Biden. Elle deviendra ainsi la première Première dame à poursuivre sa carrière professionnelle civile.
Jill Biden transformerait alors "à jamais les attentes et les limites" de la fonction, estime Kate Andersen Brower, auteure d'un livre sur l'histoire des Premières dames américaines.