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La transition, moment-clé du passage de témoin entre présidents américains

Une vue de la Maison Blanche, le 5 novembre 2020. [Keystone/AP Photo - Evan Vucci]
La période de transition à la Maison Blanche s'annonce compliquée / Tout un monde / 6 min. / le 10 novembre 2020
Le 20 janvier 2021, Joe Biden deviendra le 46e président des Etats-Unis. D'ici là, le démocrate et son équipe doivent préparer le terrain et nouer un dialogue avec l'administration sortante. Cela s'annonce compliqué, puisque Donald Trump ne reconnaît pas sa défaite.

"Si un président sortant veut compliquer la tâche de son successeur, il a mille moyens de le faire. Encore une fois, espérons que la période actuelle ne durera pas trop longtemps. Mais on ne sait jamais", soupire Robert Malley, le président et directeur du International Crisis Group à Washington dans l'émission Tout un Monde.

Robert Malley a été le conseiller sur le Proche-Orient de Bill Clinton et Barack Obama. Il a vécu deux transitions à l'intérieur de la Maison Blanche. La transition entre Bill Clinton et George W.Bush et celle entre Barack Obama et Donald Trump en 2016, deux passations de pouvoir qui se sont plutôt bien passées. En fait, cette période de transition est cruciale pour préparer le nouveau gouvernement, explique Robert Malley. Mais que se passe-t-il si le président sortant ne reconnaît pas sa défaite, et refuse de coopérer?

Un manque de données pour pouvoir agir tout de suite

"Cela dépend", explique Robert Malley. "Si ça ne fonctionne pas bien ou si ça fonctionne mal, s'il n'y a pas vraiment de transition, de passage de relais, en toute connaissance de cause et avec transparence, l'équipe qui rentre en fonction n'aura pas toutes les données en main pour commencer son travail dès le premier jour. Il y aura beaucoup de personnel nouveau le 20 janvier. Auront-ils toutes les données pour pouvoir prendre la relève?"

Robert Malley cite en exemple, fictif bien sûr, le fait que des groupes terroristes aient ourdi des plans qui pourraient se dérouler dès le mois de janvier ou février: "Le plus tôt l'équipe Biden est au courant, le plus tôt elle pourra prendre les dispositions nécessaires, le plus tôt elle pourra essayer de contrecarrer ces plans, le mieux ce sera pour tout le monde."

La sécurité nationale pâtirait d'un manque de coopération

Un président sortant qui ne coopère pas peut représenter un vrai problème pour la sécurité nationale, car c'est durant ces 2 mois et demi de transition que la nouvelle administration est briefée et que les secrets d'Etat sont échangés.

"Il y a énormément de personnel qui change, tous les membres du cabinet, mais aussi tous les officiels à un échelon élevé, qui sont des nominations politiques", détaille Robert Malley. Commencer une administration sans savoir ce qui se passe, quels sont les dangers possibles venant d'un pays tiers ou d'organisations armées ou alors quels engagements secrets ou militaires ont été pris s'avère très difficile. "Et les équipes du président élu Biden ne peuvent pas se coordonner avec les équipes du président Trump."

Faire cohabiter des pensées politiques très différentes

Un défi supplémentaire qui se pose lors d'un changement d'équipe, c'est aussi de faire cohabiter des pensées politiques très différentes. "Entre Clinton et Bush, la transition s'est plutôt bien déroulée. Le président Clinton avait donné le mot d'ordre de totale coopération", se rappelle Robert Malley. "Quand les équipes de Trump, qu'on avait nommé les 'équipes de débarquement', ont pris leurs fonctions, on ne savait pas qui étaient nos interlocuteurs, qui étaient nos vis-à-vis. Les gens venaient, puis on nous disait 'ah non, la personne qui est venue a été remplacée, il ne faut pas écouter ce qu'il dit'. Ce côté chaotique avait commencé bien avant la présidence Trump. Nous avions partagé tout ce que nous avions à notre disposition.

Le président Obama avait également, lors de ce processus, rencontré le président Trump pour l'informer sur les dossiers sécuritaires les plus urgents. "De notre point de vue, tout s'était bien passé, on leur avait remis des centaines de pages sur tous les dossiers... J'ai coordonné la rédaction de dossiers sur la Syrie, l'Irak, la Libye, la lutte contre le groupe Etat islamique... s'ils avaient des questions, nous y avions répondu", raconte Robert Malley.

Des informations qui peuvent faire toute la différence

Il y a bien eu quelques étincelle en 2000 entre les équipes de Clinton et Bush. Après une élection disputée, les équipes de Clinton quittent la Maison Blanche en arrachant des fils de téléphone, en laissant traîner des petits mots obscène et en ayant saboté les claviers d'ordinateurs. Les touches W ont été ôtées, sympathique message d'accueil pour George W.Bush. Mais de façon générale, les transitions se passent sans anicroche.

"Par tradition", explique Robert Malley, "le président sortant laisse dans le tiroir du bureau ovale une note destinée à son successeur. Evidemment, ça aide." La transparence dans les dossiers aide aussi, à l'exemple de ce qui s'est transmis entre les administrations Clinton et Bush, où la préoccupation représentée par Al-Qaïda avait été signalée à l'équipe entrante au début 2001.

"Cela n'a malheureusement pas empêché les attentats du 11 Septembre, mais c'est ce genre d'informations-là qui peuvent faire toute la différence. Si l'équipe de Trump commence à détruire des dossiers, c'est ce genre de choses qui pourraient ne pas être transmises... espérons que les professionnels pourront faire la différence et pousser à la transmissions de ce type de dossiers..."

Propos recueillis par Raphaël Grand

Adaptation web: Eric Butticaz

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