Pour cette docteure en géographie de l’Institut français de géopolitique, interrogée mercredi dans l'émission Tout un monde, il faut rester très prudent face à un éventuel essoufflement des partis populistes.
Même en ayant perdu la présidentielle américaine, Donald Trump a augmenté le nombre de voix recueillies grâce à une mobilisation sans précédent, fait-elle remarquer. "Donc il a quand même une base électorale qui reste, des gens qui se retrouvent dans son programme politique. Ce n'est pas la fin de ses idées, elles seront toujours présentes dans la société".
Des sociétés toujours plus fragmentées
Et ce soutien toujours massif au président sortant tient notamment à une société américaine - comme d'autres - profondément fragmentée. "Il y a une forme de détresse et d'inégalité économiques qui peuvent être des moteurs en faveur de ces partis", explique cette spécialiste des populismes.
Entre des populations urbaines qui profitent plus de la mondialisation et des populations plus rurales qui se sentent oubliées, il y a une sorte de rivalité. "Et c'est plutôt ces dernières qui vont voter en faveur de Donald Trump", note Anaïs Voy-Gillis. "Il leur apporte une réponse par son discours économique, avec la notion de protectionnisme, de soutien à l'emploi américain (…), et peu sur des questions sociétales".
Le poids de la crise du coronavirus
Cela dit, la grande menace pour les partis populistes, aujourd'hui, est la pandémie de coronavirus. "Certains partis populistes au pouvoir se retrouveront en difficulté dans les mois à venir", prévoit Anaïs Voy-Gillis.
C'est le cas du président brésilien, dont la gestion de la crise du Covid a suscité une profonde insatisfaction. "On a vu que la gestion de Bolsonaro était certainement l'une des plus mauvaises du monde, avec un taux de mortalité énorme, pouvant déboucher sur un mouvement de rejet de la population - pas fondamentalement sur les idées qui l'ont porté au pouvoir, mais plutôt pour la gestion de la crise".
Les élections municipales de dimanche dernier étaient du reste un scrutin en forme de test pour la popularité du président d'extrême droite. Il en ressort des résultats contrastés: la mairie de Rio de Janeiro reste en l'état en main populiste, alors que dans d'autres villes les partisans de Jair Bolsonaro sont en recul.
Les partis traditionnels aussi dans la tourmente
Il faudra encore du temps pour voir si la situation liée à la pandémie va affaiblir ou renforcer les populistes. Des partis gouvernementaux classiques pourraient, eux aussi, se voir affaiblis par leur gestion de cette crise d'ampleur inédite. "On voit que dans beaucoup d'Etats il y a du tâtonnement, de l'incertitude et beaucoup de mécontentement, même en Allemagne où Angela Merkel est peut-être l'une des dirigeantes européennes les plus appréciées", rappelle Anaïs Voy-Gillis.
Mais une chose est sûre d'ores et déjà: "La crise du Covid renforce tous les mouvements complotistes", souligne-t-elle. "Dans le monde entier, ce sont des théories qui prennent une ampleur considérable, auxquelles de plus en plus de gens croient (…) Cela devient un phénomène assez généralisé".
Un monde toujours plus complexe
En parallèle ou conjointement, la défiance à l’égard des gouvernements, des administrations en place, des experts, est une tendance qui se renforce. "C'est une tendance qu'on voit depuis une dizaine d'années, liée au sentiment que gauche et droite s'alternent au pouvoir sans finalement qu'il y ait de véritable capacité à transformer la vie des citoyens", poursuit la docteure en géographie. "On est dans un monde très complexe, bien plus qu'à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale. La complexité amène des réponses complexes et en général on n'aime pas trop ça".
Anaïs Voy-Gillis est l'auteure de "L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes", paru cet été aux Editions du Rocher.
Propos recueillis par Patrick Chaboudez/oang