De multiples rassemblements ont eu lieu dans les grandes villes françaises contre ce texte dénoncé comme attentatoire à la liberté d'expression et à l'Etat de droit. A Paris, 46'000 personnes environ sont sorties dans la rue. Les manifestations ont commencé dès samedi matin dans certaines régions, notamment à Lille (nord), où quelques milliers de personnes se sont rassemblées sous le slogan "Liberté, égalité, filmez!", avec à leur tête la maire et ancienne ministre socialiste Martine Aubry.
"On se fait frapper pendant les scènes coupées!" ou encore "Floutage de gueule", indiquaient notamment des pancartes brandies au milieu de drapeaux et badges de presse, en présence de différents syndicat ou encore de la Ligue des droits de l'homme.
En plus des traditionnelles structures de gauche, syndicales ou de la société civile qui manifestent, de nombreuses personnalités ont rejoint l'appel à manifester samedi, désormais placé sous "le refus que la France soit le pays des violences policières et des atteintes à la liberté d'informer".
Au total, entre 130'000 (selon le ministère de l'Intérieur) et 500'000 personnes (selon les organisateurs) ont participé à cette action.
Affrontements avec les forces de l'ordre
Des affrontements ont éclaté avec les forces de l'ordre, durant lesquels 37 policiers et gendarmes ont été blessés, selon le ministre de l'Intérieur Gerald Darmanin, qui a condamné des "violences inacceptables". A Paris, des casseurs ont mis le feu à au moins un kiosque à journaux, l'entrée d'un bâtiment de la banque de France et une brasserie adjacente, nécessitant l'intervention des pompiers.
Certains participants, très mobiles et habillés en noir, jetaient des projectiles en tout genre sur les forces de l'ordre, qui répliquaient par des tirs de gaz lacrymogène, a constaté une journaliste de l'AFP. Des scènes similaires ont lieu dans d'autres villes, notamment à Rennes et Lyon. Dix-huit personnes ont été interpellées, dont neuf dans la capitale.
Loi prévue pour protéger les policiers
Au coeur de la contestation figurent trois articles de la proposition de loi "Sécurité globale". Elle a reçu le feu vert de l'Assemblée nationale la semaine dernière et entend encadrer la diffusion des images de policiers, ou encore l'usage des drones et des caméras-piétons des forces de l'ordre. L'article 24, qui focalise les critiques, réprime d'un an de prison et 45'000 euros d'amende la diffusion "malveillante" d'images de policiers et gendarmes.
Selon le gouvernement français, cette disposition vise à protéger les policiers victimes d'appels à la haine et au meurtre sur les réseaux sociaux. Ses détracteurs, eux, font valoir que bon nombre de violences policières seraient restées impunies si elles n'avaient pas été capturées par les caméras des journalistes et les smartphones de citoyens. Ils pointent aussi du doigt une disposition inutile, l'arsenal juridique actuel étant suffisant pour réprimer de tels délits.
Travail des journalistes entravé
Outre le retrait des articles 21, 22 et 24 de la loi, la coordination demande également le retrait du nouveau "Schéma national de maintien de l'ordre" qui, lors des manifestations, oblige les journalistes à se disperser lorsque la police en donne l'ordre, les empêchant ainsi de couvrir la suite des événements, souvent houleux ces dernières années.
Un collectif de journalistes a dénoncé dans un texte diffusé samedi la volonté de la police et d'autres institutions de s'arroger un "droit de censure", au mépris de la liberté d'informer, à travers des conventions de tournage de plus en plus contraignantes. Les presses française et étrangère ont dénoncé "une dérive sécuritaire", "des atteintes aux droits". Des voix critiques ont aussi été entendues à l'ONU, et le débat s'est invité au Parlement européen.
afp/vic
Un photographe syrien blessé
Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé samedi des violences policières "inacceptables" contre un photographe syrien, blessé lors de la manifestation contre le texte de loi "sécurité globale" et les violences policières à Paris.
Collaborateur de Polka Magazine et de l'AFP, ce photographe de 24 ans, qui couvrait la manifestation place de la Bastille à titre indépendant, "a été blessé au visage par un coup de matraque", a affirmé sur Twitter Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. "Ces violences policières sont inacceptables. Le pays des droits de l'homme n'a pas à les menacer, mais à les protéger", a encore tweeté Christophe Deloire.
Deux affaires violentes prouvées par vidéo
Deux affaires de violences policières cette semaine, précisément révélées par des vidéos, ont donné un nouvel élan aux protestations. Lundi, lors d'une opération médiatique d'organisations pro-migrants, la police a évacué brutalement ceux qui s'étaient installés sur une place du centre de Paris, malmenant également des journalistes sous l'oeil des caméras et des smartphones.
>> Plus de détails dans notre article : Enquête ouverte après l'évacuation d'un camp de migrants à Paris
Mais le paroxysme a été atteint jeudi après la publication d'images de vidéosurveillance montrant le passage à tabac d'un homme noir, producteur de musique, par trois policiers. La presse, les réseaux sociaux et certains grands noms du sport ont dénoncé ces violences policières. "Des images qui nous font honte", a admis vendredi soir le président Emmanuel Macron, qui a demandé des sanctions très claires contre les policiers incriminés.
>> Lire à ce sujet : Quatre policiers en garde à vue après un passage à tabac à Paris