Ce gouvernement de "grande coalition", selon l'expression de
Mwai Kibaki, devra s'attacher selon lui à "construire un nouveau
Kenya", après les violences politico-ethniques qui ont suivi la
contestation par l'opposition de l'élection présidentielle du 27
décembre, entachée de graves irrégularités.
La contestation par l'opposition de la réélection de Mwai Kibaki
avait plongé le Kenya dans une crise politique majeure. Mwai Kibaki
avait été réélu le 30 décembre 2007, avec 4'584'721 voix contre
4'352'993 voix à Raila Odinga. Le décompte des votes, contesté par
l'opposition, avait donné lieu à de violents affrontements, qui ont
fait 1500 morts et plus de 300'000 déplacés.
Portefeuilles répartis
"Construisons un nouveau Kenya où la justice est notre bouclier
(...) et où la paix, la justice et l'abondance existeront à travers
notre pays", a ajouté Mwai Kibaki lors d'une allocution retransmise
en direct par les télévisions kényanes depuis la présidence à
Nairobi, en présence notamment de Raila Odinga.
Dans le cadre du gouvernement de coalition, Uhuru Kenyatta fils du
premier président du pays Jomo Kenyatta et représentant le camp
présidentiel - et Musalia Musavadi, représentant le Mouvement
démocratique orange (ODM) de Raila Odinga, ont également été nommés
vice-Premiers ministres.
Le camp présidentiel et l'ODM se répartissent les porte-feuilles
ministériels dans ce cabinet, conformément à un accord conclu le 28
février entre le président sortant et Rail Odinga, sous la
médiation de l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi
Annan, pour mettre fin aux violences politico-ethniques.
Depuis la signature de cet accord, les négociations entre les deux
camps avaient été marquées par la méfiance et les accusations
réciproques de vouloir saboter l'application du texte. L'accord
avait certes été entériné à l'unanimité par le Parlement le 18
mars, mais les tractations sur la formation du gouvernement
s'étaient ensuite enlisées.
Sortie de l'enlisement
Mwai Kibaki et Raila Odinga avaient finalement affirmé le 3
avril être tombés d'accord sur la taille et la composition de ce
gouvernement prévoyant la création d'un poste de Premier ministre
destiné à Raila Odinga. Mais deux jours plus tard, leurs deux camps
avaient une nouvelle fois affiché leurs désaccords profonds sur
l'attribution des postes clés du gouvernement, entraînant une
suspension des discussions.
Face à la perspective d'un nouveau blocage politique susceptible
de provoquer d'autres violences, la communauté internationale avait
multiplié ces derniers jours les pressions sur les dirigeants
kényans pour qu'ils trouvent un terrain d'entente sur le partage
des porte-feuilles ministériels.
Les craintes de nouvelles violences avaient été ravivées par des
manifestations fustigeant les retards dans l'annonce du cabinet.
Ces manifestations ont éclaté en début de semaine à Nairobi dans le
bidonville de Kibera, fief de Raila Odinga où les affrontements
politico-ethniques et la répression policière du début de l'année
avaient été particulièrement meurtriers.
agences/het
Qui est Raila Odinga?
Opportuniste ou héros de l'opposition, Raila Odinga "le mystérieux" demeure une énigme pour nombre de Kényans mais, à force de ténacité, ce flamboyant politicien de 63 ans a su devenir le premier Premier ministre de l'histoire du pays, après avoir passé neuf ans de sa vie en prison.
Homme d'affaires prospère, amateur de grosses cylindrées américaines, ancien communiste, abonné aux changements réguliers de partis politiques, ancien prisonnier politique: depuis la crise post-électorale au Kenya, le caméléon Odinga a aussi gagné ses galons de négociateur pugnace.
Candidat des plus démunis, Raila Odinga a reçu pendant la campagne électorale le soutien de millions de partisans de l'ouest du pays et des bidonvilles de Nairobi.
Le leader de l'ODM s'est taillé, en l'espace de quelques semaines, une stature comparable à celle de son père, le militant indépendantiste Jaramogi Oginga Odinga, qui incarna après l'indépendance l'opposition kényane.
L'intransigeance et la ténacité de Raila, surnommé "agwambo" (le mystérieux) dans sa langue luo, a sans doute été forgée par ses neuf années de prison, dont plusieurs passées à l'isolement. Soupçonné de coup d'Etat, il n'a pas eu le droit à un procès.
A sa libération, cet universitaire et ex-étudiant en Allemagne de l'Est s'est exilé en Norvège. Tout au long de sa carrière, ce politicien habile et imprévisible a multiplié coups politiques et alliances, changeant de partis à de nombreuses reprises.
En 2002, il fut ainsi le principal artisan de l'élection de Mwai Kibaki et fut tour à tour ministre de l'Energie, de l'Infrastructure routière, du Travail et du Logement.
Ses opposants l'accusent d'être opportuniste, autocratique et populiste. Il se présente désormais comme un social-démocrate.